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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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Edward apprendra le métier de dessinateur publicitaire. Le voici inscrit dans une école par correspondance. Sans doute sa mère ne tient-elle pas à ce qu’il s’éloigne trop tôt de Nyack. Ce sera pourtant nécessaire : fin 1899, l’école s’est installée à New York. Pour un an, il est élève en art commercial.
    New York est à une trentaine de kilomètres au sud de Nyack. Je ne sais si le jeune homme préfère y aller en bateau, comme en flânant, ou en train. Tantôt d’une manière, sans doute, tantôt de l’autre ; chaque matin, et chaque soir : il retourne dormir à la maison. Je ne sais ce qui était le plus économique : certainement, cela entre en ligne de compte. Lisait-il, adossé au bastingage, levant parfois les yeux vers les collines et les champs, le ciel, les nuages, regardant les bateaux que le sien croise ? Regardait-il, par la fenêtre du train, parfois embuée, la campagne et les petites villes gagnées peu à peu par la vie moderne et ses constructions? Tous ces poteaux télégraphiques, ces passages à niveau, les premiers garages d’automobiles, la concurrence des enseignes… Prendre le train ou prendre le bateau n’est pas seulement une affaire d’atmosphère, de manière de vivre le temps, une question de sensibilité, d’humeur ; cela ne change pas seulement la couleur de la rêverie, ou la nature de ce qui
au fil des saisons s’offre au regard ; c’est passer d’une époque à une autre, d’un siècle à un autre : du temps des diligences au temps du chemin de fer. Peut-être le parcours se faisait-il partie en ferry et partie en train.
    Non moins que l’enseignement, ces allées et venues entre deux villes, et par deux voies si différentes, ont contribué à former la peinture de Hopper, à susciter et à nourrir en lui le peintre. Tant de trains et de gares, de voies ferrées, dans sa peinture, ses gravures ; tant de trains vus à vive allure, trouant la campagne, ou, de l’intérieur d’un compartiment, vers le dehors, le paysage, le pays ; tant de bateaux sur le fleuve, tant de quais, de ponts, de façades longeant le trafic fluvial…
    Le train, rails et roues de fer, d’acier, serait du côté du masculin, de l’arme, de l’outil, de la charrue ; le bateau, dont l’itinéraire, la trajectoire, est souple, entre les mains et les bras du vent, bercé par le mouvement de l’eau, de la vague, serait du côté féminin, maternel. Ce que représente un peintre, et qui lui est présent au moment où il peint, où il travaille, lui vient aussi de ce qu’il a vécu, de ce qu’il a vu, dans sa jeunesse, dans sa profonde enfance. Ce qui naît et se fixe sur la toile est l’alliance et la confluence, la fusion, de tout le passé du peintre et de l’instant nouveau, de sa virginité, de ce qui en lui n’a jamais été vu ni vécu par le peintre : fraîcheur du monde, naissance ; mais le secret de cette nouveauté de l’instant, c’est qu’il contient, en germe, obscurément, l’avenir de l’aventure dont le peintre ne sait rien, qu’il vivra : devenant lui-même, tel qu’on ne le confondra avec aucun autre ; voix singulière du poète, reconnaissable aux premiers mots que nous lisons de lui, le livre ouvert à n’importe quelle page ; reconnaissable à toute phrase qu’il écrit ; singularité, ingénuité, dont il ne saurait avoir conscience, sous
peine d’être le faussaire de soi-même. Ainsi, comme le passé sourd sous l’instant présent et l’œuvre actuelle, de même, sourd ce qui n’existe pas, vers quoi cependant toute l’œuvre d’un artiste est orientée : son pôle magnétique. Ainsi, le passé lui-même est ce grâce à quoi nous pouvons nous représenter cette force qui demande à prendre forme, à se réaliser : l’à venir. Cet avenir va jusqu’à métamorphoser notre enfance, le souvenir qui nous en est présent et qui agit à l’instant où nous peignons, écrivons : cette page même. Il est notre source. Il est, ignoré de nous, connu cependant, notre cause finale . Nous sommes formés de ce qui nous précède ? Sans doute. Mais nous sommes aussi les enfants de ce temps, latent, futur, qu’il nous reste à vivre. De ce temps ? Ou de l’éternité. Si je ne puis dire ce qu’est le temps, que dire de l’indicible ? Quand un artiste croit qu’il travaille à ressusciter par son œuvre le temps passé, à le faire ressurgir, à le dresser comme un récif face à la mort et au néant, c’est à

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