Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
Vom Netzwerk:
reprend, en notre temps, sa dimension métaphysique, sa transcendance, fût-elle de l’ordre des ténèbres. Mais la connaissance de l’échec, essence de notre condition, est aussi la chance d’une délivrance, d’un dépouillement. Nous voici libérés de toute illusion, dont celle, puérile, de croire qu’il nous était possible, donné, de « réussir ». La fleur et le fruit de cet arbre qui se dressait de toute sa force est dans cet abandon, cette enfance. La force et la vérité de l’arbre sont dans l’humilité. Tout ce travail et cet effort de notre vie pour parvenir à cela, à cette connaissance : cette inconnaissance ! Rodrigue, à la fin du Soulier de satin . Ou cette parole de saint Paul : « Ma faiblesse est ma force. » La mort sublime et sainte de Don Quichotte.
    Je reviens au portrait d’un élève, par Hopper. Cette « scène de genre », cette anecdote est un autoportrait, une confidence. Devenir peintre, pour Edward Hopper, n’alla pas sans nuit et sans tourments. Le même vieux jeune homme, nous le retrouvons dans une autre toile de Hopper, peinte la même année. L’homme est dans sa chambre, assis sur son lit défait,
regardant vers la porte. Qui attend-il ? Qui espère-t-il? Aucun crucifix sur le mur, aucune peinture, aucun chevalet. La pauvreté, pour ce qui est de la vie quotidienne, matérielle, et la misère, pour ce qui est de la vie intime.
    Pourquoi Hopper éprouve-t-il le désir, le besoin, d’aller à Paris ? Ce pourrait n’être qu’une façon de continuer ses études. De toute l’Europe, et d’Amérique, les peintres, les écrivains ont ce désir de Paris. Picasso s’installe au Bateau-Lavoir en 1904. Bientôt, de Montmartre à Montparnasse, toute la constellation: Juan Gris, Brancusi, Modigliani, Chagall, De Chirico. C’est le temps d’Apollinaire et de Blaise Cendrars. Le temps de Zone et de la Prose du Transsibérien . C’est aussi le temps de Pâques à New York .
    Paris. Mais quel Paris ? Le Paris des impressionnistes n’est plus. Ce sera le Paris du musée du Louvre. La ville d’où il sera facile d’aller à Madrid, en Italie, à Londres, à Berlin, aux Pays-Bas. Il y fera trois séjours. En 1906, du mois d’octobre au mois d’août ; cette année-là il se rend à Londres, à Amsterdam et à Haarlem, à Berlin, à Bruxelles. En 1909, et ce séjour sera écourté, à cause d’un temps si mauvais qu’il est impossible de peindre à l’extérieur, ou peut-être à cause de la santé de son père. Gail Levin suppose que Hopper est impatient de retourner à New York et de s’y affirmer. Au point de gaspiller l’argent d’une traversée? Et puis en 1910. Cette fois, il visite Madrid et Tolède qui l’enchantent. Il va et vient, monte et descend dans les rues de Tolède, toute une journée de soleil, de canicule. Du haut des remparts, il regarde le Tage, le paysage fauve, les oliviers. Le bleu tranchant du ciel est fort comme s’il était rouge. Si Hopper a vu L’Enterrement du comte d’Orgaz , il n’en a rien dit.

    Peut-être y a-t-il aussi, dans son désir d’aller à Paris, de connaître l’Europe, un besoin de liberté. Il y a longtemps que les sentiments religieux de sa famille ne sont plus les siens. Il a lu Emerson. Il s’est imprégné de sa philosophie, de ses principes, de son refus de tout dogmatisme. Un discours du philosophe, prononcé en 1837 à Harvard, avait été reçu comme la « Déclaration d’indépendance intellectuelle américaine  ». Bientôt Hopper lira Freud, Jung 2 .

3
Un jeune Américain à Paris
    Il n’ira pas se chercher un logement à Montmartre, entre le Chat noir, le Lapin agile, le Bateau-Lavoir, le Moulin rouge, près de la place du Tertre, rue Lepic, au bas des marches qui montent au Sacré-Cœur, tout neuf, et qui toujours aura l’air neuf, bloc byzantin de craie. À Montmartre où Van Gogh peignit ses premières toiles parisiennes. Où il aurait pu rencontrer Maurice Utrillo qui, comme lui, Edward Hopper, peint encore d’une manière sombre, réaliste, et dont bientôt la palette va s’éclaircir ; comme celle de Hopper : rappelant les couleurs de Pissarro et de Sisley, l’impressionnisme, qui n’est pas si loin. À un an près, Utrillo et lui ont le même âge. Cézanne, quand Hopper arrive à Paris, cette même année, meurt, à Aix. Degas a cessé de peindre, il n’y voit presque plus. Hopper aurait pu croiser le vieil homme, coiffé d’un chapeau haut-de-forme, près

Weitere Kostenlose Bücher