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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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Hopper, en 1906 ? Plutôt Henri, ou un maître idéal, un père , un père maternel. Un homme – qui n’est plus un jeune homme – est assis devant son chevalet, en bras de chemise (excellent pour les blancs, la lumière), une large palette sur les genoux, un peu voûté, un peu tassé sur lui-même, certainement malheureux de son ouvrage, doutant de son talent, de sa vocation, de son avenir. La toile est placée de manière qu’on ne peut voir ce qu’il a peint. Le professeur, le maître, est debout à côté de l’élève. Il lui a posé affectueusement le bras et la main sur l’épaule. Le jeune peintre peut sentir cette chaleur qui le réconforte, l’encourage. Le maître montre et dit ce qui ne va pas dans la toile, pas encore, et qu’un rien pourrait changer 1 .
    Le tableau, qui représente un apprenti peintre devant ce qui est un échec, est lui-même une réussite, encore un peu scolaire ; mais une réussite. Flaubert, qui s’est tellement voué à la recherche de la perfection, fait, dans L’Éducation sentimentale ou dans Bouvard et Pécuchet , du récit de l’échec, un chef-d’œuvre. C’est l’un des traits de l’esprit moderne que la hantise de l’échec ; et que d’en faire le sujet de l’œuvre, qui ne peut être une œuvre que si elle contredit cette hantise, cette fascination qu’exerce l’impossible, le néant, le dérisoire. Flaubert, si nous pensons à ce trait de la modernité, de la création moderne, nous vient le premier à l’esprit ; mais combien d’autres ? Le Balzac du Chef-d’œuvre inconnu  ; Mallarmé, Rimbaud ; plus près de nous : Kafka, Beckett, Giacometti, Cioran… Même chez les artistes, les poètes, les écrivains, dont l’œuvre est plus proche du triomphe et de l’affirmation que de la négation, de la défaite, ce sentiment d’infirmité a sa part. Toutes ces couches superposées
de la peinture de Rouault, jusqu’à ce relief imprégné de lumière, cette matière comme transfigurée, faut-il y voir quelque chose comme une ascension, une conquête incessante, ou, de retouche en retouche, mais toutes conservées, en profondeur, en surface, le témoignage de repentirs, de désaveux successifs, d’un perpétuel inaccomplissement ? « Un poème, dit un jour Valéry à Malraux, c’est comme une cigarette qu’on roule : à force de le défaire, il se fait. » Dans ce « défaire », il y a « défaite » ; et dans cette défaite, la maîtrise, enfin.
    On pourrait dire d’un mot, sans nuance, que la Renaissance, pour l’œuvre d’art et l’artiste, est le temps de l’orgueil et de l’assurance, de l’affirmation ; cela se poursuivant jusque dans le classicisme. Avec le romantisme commence, pour l’artiste et au sein de l’œuvre, le temps du doute, voire, la préférence et la sacralisation de l’échec, du dérisoire. Cette célébration de la part d’ombre, ce culte, peut se loger dans l’œuvre ; elle peut en être la note essentielle, et qui la porte au niveau des œuvres triomphales de jadis. Par elle, l’homme est représenté dans son dénuement, sa misère, et non plus dans sa grandeur. Par elle, le cosmos est miné, et Dieu, s’il est présent, n’est présent que par son absence, ou sa cruauté. Un autre pan de la modernité consiste, non plus à dire le néant dans l’œuvre, à remplacer et destituer l’œuvre par le rien, mais à se taire, et à choisir le néant de l’œuvre, son anéantissement. L’œuvre, parfois, rivalisait avec le monde, avec Dieu ; la création rivalisait avec la Création, le créateur avec le Créateur : le néant, la préférence du néant, le désir d’anéantissement, devient une forme ultime de rivalité avec la nature ou le surnaturel.
    Voir l’échec, sa hantise, au cœur de la création artistique moderne, essentiellement dans la peinture et la littérature : sans doute ; mais il faudrait distinguer entre deux ou trois formes d’échec : l’échec que ressent l’artiste ou l’écrivain quand il compare ce dont il est capable à ce qu’il eut le désir d’accomplir, son ouvrage, son travail, son ébauche ; ou à ce qu’il admire : l’œuvre, le chef-d’œuvre ; et l’échec de l’art quand il s’agit d’exprimer l’indicible, le divin ou l’infernal ; enfin, l’échec inhérent à la condition humaine, échec dont la création artistique n’est qu’un des aspects ; et, par le dernier degré de l’échec, l’œuvre d’art atteint ou

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