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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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avons gardé un certain nombre de ces dessins : ce sont moins des travailleurs qui retiennent son attention, des gens honnêtes, des commerçants qu’un milieu qu’il est d’usage de dire « interlope » : un maquereau, cigarette aux lèvres, une fille de joie, des cocottes qui, en effet, ont un peu l’air, robe saillante sur la croupe, de poules. Est-ce une manière, indirecte, de rendre hommage à Toulouse-Lautrec ? Ou bien, très sage, très retenue de s’encanailler un peu ? Toujours, il eut un penchant, un don pour la caricature. Et, pour cela, de « mauvais sujets » sont de bons sujets.
    S’il dessine un ouvrier, béret en pointe sur la tête, très parigot, c’est mains dans les poches, bien planté sur ses deux pieds, et non maniant la pioche ou la truelle, creusant, transbordant. Il dessine des bourgeois, des bourgeoises, le gros sur sa chaise comme un Daumier, la minaudière des boulevards, l’attifée, la poudrée… Il s’étonne de voir un peuple, le peuple parisien, si oisif, flâneur. Paris connaît un art de vivre que New York ignore. Il remarque, parmi les passants, les soldats, little soldiers , et leur pantalon garance. Qui penserait à la guerre cette année-là ? Le militaire, dans les rues de Paris, est décoratif, pittoresque. Les soldats, dans les rues, sont les soldats de Courteline. Si l’on est voisin d’une caserne, on y entend à heure fixe sonner le clairon. Cuivre dans la lumière du matin, cuivre dans la rougeur du couchant.
1870, les Prussiens, les casques à pointe, le siège de Paris, Sedan, les dernières cartouches, cela n’est pas si vieux, pourtant.
    Les Français lui semblent assez chétifs, poitrine rentrée, peu de muscles. Les jeunes Américains sont autrement bâtis, « bien découplés ».
    Il aime Paris, ses gris, ses nuances, ses demi-teintes, l’harmonie de ses façades, l’ordre qui y règne, sa propreté, la douceur de l’air, la délicatesse des ciels, cette douceur de la lumière jusque sous les arches, les commerces bien achalandés et bien tenus. Il peint. Il peint la Seine, les quais, les péniches, les bateaux-lavoirs, les bateaux-mouches, Le Louvre par temps d’orage , le pont des Arts, où les passants là-haut sous leur parapluie (si ce sont des parapluies), et sous le vent qui souffle fort, ne sont qu’une touche de pinceau. Il peint le quai des Grands-Augustins, Notre-Dame. Ce sont d’honnêtes peintures, non sans charme, dans la suite de l’impressionnisme ; plutôt des esquisses, des pochades que des tableaux concertés, achevés. « Impressionnisme » : sans doute, mais par la clarté de la palette, une clarté conquise après la peinture sombre de New York, un regard, un climat, et par le sujet – la ville, les quais, la Seine –, plus que par la manière, la touche. Hopper n’imite pas Sisley, Pissarro ou Monet… Si dans ses lettres, et plus tard, pensant à l’impressionnisme, il parle de « pointillisme  », il n’y a rien là de « pointilliste ». Ses vues de la Seine, même sa façon de peindre, font penser à Marquet. Marquet, dont au Salon d’automne il a pu voir quelques peintures et qui, en 1906, a une trentaine d’années ; six ans de plus que Hopper.
    Hopper tenait-il ces peintures pour des exercices, un apprentissage, ou, déjà, des « tableaux », des
œuvres ? À son retour, il les exposera, sans succès. Peut-être ce choix de sujets parisiens semblait-il trahir la cause d’une peinture spécifiquement américaine en train de naître ? Il cessera de les montrer. L’une de ces peintures « parisiennes » diffère des autres : « Le Bistro », Red Wine Shop. Ses couleurs et sa manière, son thème, feraient croire qu’elle fut exécutée sur le motif. Il l’a peinte aux États-Unis, « de mémoire ».
    Nous sommes au bord de la Seine, non loin d’un pont qui pourrait être le Pont-Neuf. Dans le coin gauche, sur la berge, comme en retrait, un couple est assis devant un guéridon de café. L’homme nous tourne le dos. La femme, haut chignon, corsage, a l’air plus grande et plus âgée que lui. On dirait plutôt une mère et son fils qu’un couple d’amants ou d’amoureux. Entre eux, sur la table ronde, deux verres à pied, une bouteille de vin rouge, presque à moitié vide ; et ce rouge, marqué d’un rai de lumière, est de couleur moins vive que la large ceinture de flanelle rouge que porte l’homme, un ouvrier, un débardeur, un travailleur de force, faisant la

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