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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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pause, ou chômeur. Le rouge attire notre regard vers une scène que le peintre a pourtant placée dans une sorte d’ombre.
    Si c’est une terrasse, où sont les autres clients, un garçon, les tables, l’enseigne du café ? Et se peut-il qu’un bistrot, comme une guinguette, à la campagne, s’établisse à Paris au bord de la Seine, sans autre environnement que les pierres du quai ? Est-il d’usage qu’on pose une bouteille devant les consommateurs, au lieu de les servir, verre après verre ? Peu visible, derrière les buveurs, un couple s’éloigne, peint sans grande précision ; passants, promeneurs. Si nous levons les yeux, nous apercevons une haute façade sombre, décor, et masse, qui soutient, à gauche, la
composition, ouverte vers la droite et le lointain. On ne voit pas de maisons, au loin, sur les quais. Mais quatre peupliers, qui semblent pousser sur le pont tout proche. Des peupliers qui ressemblent à de grandes plumes. Le fleuve, qu’ils devraient longer, ils le traversent. Le vent penche un peu leur cime, comme la pointe du pinceau s’incurve au contact de la toile ou de la feuille. Avec à sa proue et le long de ses flancs un peu d’écume, mince comme un trait de pinceau, presque invisible, une péniche est sur le point de passer sous une arche du pont. Le ciel est vaste et d’un bleu délicat.
    Pourquoi le peintre a-t-il placé presque en coulisses ses personnages, ce couple face à face, et donné une telle importance au décor et à ces arbres qui pourraient être ceux d’une toile de fond ? Il s’agit moins d’un paysage, d’une « vue de Paris », que d’une « scène » dont les personnages seraient d’un Lautrec. Le vin rouge dit Paris, signifie la France. Mais qui sont ces personnages, que se disent-ils, s’ils se parlent ? Déjà le génie de l’étrange affleure en Hopper.
    Il est arrivé à Paris dans les premiers jours d’octobre, belle saison pour les feuillages le long de la Seine et dans les jardins, au Luxembourg, belle saison pour un peintre ; et assez tôt pour visiter le Salon d’automne, qui lui semble faible. Pour aller au Louvre, il lui suffit de franchir la Seine. Il fréquente les expositions, les galeries.
     
    Quand Hopper découvre Paris, Monet peint les Nymphéas, à Giverny, mais le temps des impressionnistes est passé, celui des cubistes commence. Il n’en sait rien. Il dira plus tard : « Je n’ai rencontré personne. J’ai entendu parler de Gertrude Stein. Mais de
Picasso, non, je ne crois pas. » Pourtant, l’un de ses amis, Bruce, qui l’avait guidé dans sa découverte des impressionnistes, fréquentait le cercle de Gertrude Stein. Cette façon de se tenir à l’écart, de rester à l’écart, est-ce timidité, modestie, sentiment de n’être encore qu’un étudiant qui n’a rien fait qui vaille ; ou fierté de celui qui veut suivre sa propre voie ; absence de curiosité ? On ne peut s’empêcher de penser à ce que serait devenu Hopper s’il s’était mêlé à l’avant-garde, s’il avait vu Les Demoiselles d’Avignon , que Picasso peint en 1907. Plus tard, aux États-Unis, il ira voir une rétrospective de Picasso. Les périodes bleue et rose lui plairont, mais il n’aura qu’indifférence, sinon hostilité, pour ce qui les suit. Quand il lira les diatribes de Vlaminck, il y souscrira : Picasso est un destructeur de la peinture, un ennemi de la nature et de sa vérité, de son évidence.
     
    Il y a parmi les pensionnaires du 48 rue de Lille une jeune fille, une jeune Anglaise, Enid Saies, ravissante. Enid Marion Saies. Plus jeune que lui de trois ans. Brune, vive, grande, mince, un regard lumineux, rieuse. Elle étudie la littérature française à la Sorbonne, elle aime la poésie, et si elle a pris pension dans la mission évangélique, chez Mme Jammes, ce n’est pas qu’elle soit très pieuse, très croyante ; ses parents le sont. Elle porte, sur une photo, une espèce de petit képi militaire, gracieux, fantasque. On ne s’étonne pas qu’Edward en tombe amoureux. Ils sortent ensemble, rien de plus. Ils visitent Chartres et Versailles. Enid est fiancée. Quand elle retourne à Londres, Edward, qui avait dessein de visiter la National Gallery, la Wallace Collection, le British Museum, la rejoint. Peut-être est-ce pour elle qu’il fait alors ce voyage. Le projet de
mariage, avec un certain M. Premier, se précise. Ce chagrin d’amour a sans doute sa part dans le peu de goût de Hopper pour

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