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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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à la philosophie, aux philosophes. Hopper disait à Joséphine que l’auteur du livre était Platon. Comment le saurions-nous quand nous ignorons si le livre, ouvert, mais illisible, est une œuvre de pensée,
un recueil de poésie, un roman, un roman de gare, l’ouvrage d’un médecin sur les pannes sexuelles. Quand le titre du tableau, dans le catalogue de l’exposition, ne nous conduit pas même à supposer que ce bouquin, dans cette situation, sur un lit, entre deux corps, puisse être une œuvre philosophique. On ne saurait s’appuyer sur le propos de Hopper pour tenter un parallèle entre la pensée de Platon sur l’amour et celle du peintre ; dire, par exemple, qu’Éros, à la fin du Banquet , dans l’hymne de Diotima, est une montée vers le divin, axe du monde, et qu’il est ici en berne ; comme ce canon qu’un jour, dans une aquarelle, a dessiné Hopper ; le bout encapuchonné d’une espèce de sac, de loque, d’une capote, flétrie, fripée.
    Le livre est ouvert, mais abandonné, négligé ; comme la femme est offerte, dédaignée ; et qui n’a rien de mieux à faire, maintenant, que de sommeiller, dormir, rien de plus. Le premier vers de Brise marine nous vient à l’esprit : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. »
     
    Summer Interior (« Intérieur en été »). 1909, c’est-à-dire la période « parisienne » et, si le tableau fut peint à New York, entre deux séjours à Paris. Le titre est neutre, et trompeur ; il désigne un genre, il indique un lieu, un climat, une lumière : une saison ; ce qui est fréquent chez Hopper. Il ne dit rien du sujet. Cela pourrait s’intituler : L’Abandonnée, La Délaissée . La neutralité du titre, sa banalité, fait ici partie du jeu ; comme si l’attitude de cette femme, demi-nue, au pied d’un lit, était chose ordinaire… Un lieu, donc, un genre, convenu, dans l’histoire de la peinture ; et une indication de temps : pour la lumière, l’atmosphère. Ce pourrait n’être qu’un « exercice de style ». Un
romantique aurait mis en évidence la « scène », le « drame ». Une jeune femme est assise nue au pied d’un lit défait, ouvert. Elle est plus « réelle » que celle de l’aquarelle aux coussins multicolores. Immobile, tandis que la femme parmi les coussins, dans la houle et parmi les cornes des coussins, cornes qui sont aussi des seins, certainement remue, au moins un pied, pour se mieux mettre à l’aise, ou se caresser à l’étoffe ; Léda parmi des cygnes, leurs ailes, leur bec, leurs palmes. Léda s’offrant à un cygne invisible.
    Le peintre, cette fois – cette seule fois ? – a montré au bas du ventre la touffe, le crin, une touffe noire, le triangle, le nid, le fascinant triangle, avec un peu de rouge, qui n’est pas du sang ; mais un effet de couleur, de peinture ; la touche du peintre. La femme, une jeune femme, a la tête baissée. On ne voit pas son visage. Ses cheveux ne sont pas dénoués. C’est sur ses cuisses que le regard se porte. L’une de ses mains est glissée entre les cuisses. Ni par pudeur ni pour le plaisir. Elle s’est comme laissée tomber au bas du lit entrouvert, défait, non sur la descente de lit, mais sur un drap qui semble couler hors du lit, et lui évite le contact avec le sol ; drap qui pourrait être un linceul.
    Il fait grand jour dans la chambre. La lumière vient d’une fenêtre qu’on ne voit pas. Le soleil luit derrière les persiennes fermées. Il semble un peu rosir la cheminée de marbre blanc sur laquelle une pendule indique une heure qu’on distingue mal, qu’on ne distingue pas. Voyeurisme ? Je sens plutôt quelque chose comme la représentation d’un souvenir, et d’un remords. Cette femme a été prise, sans tendresse, brutalement, à la hâte, par un homme qui ne l’a pas même déshabillée entièrement, qui n’a pas dormi avec elle, ne s’est pas attardé, a passé la porte dès le coup tiré. Ce
n’est pas une prostituée, pourtant. Elle n’a été que l’occasion et le moyen de sa jouissance. Elle pose et glisse une main entre ses cuisses comme on la poserait sur une blessure, près d’une brûlure. Ce n’est pas qu’elle aime d’amour cet homme, qu’elle songerait à vivre avec lui. Elle sait bien qu’il n’est que de passage. Qu’en couchant ainsi avec elle, quand ça lui convient, à lui, il économise le prix et le sordide d’une passe. Faut-il pourtant qu’il la traite

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