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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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verticaux, avec les pièces nécessaires à la vie quotidienne. De l’intérieur, quand on regarde vers la mer, le large, on se croirait dans un bateau en pleine mer : la falaise est abrupte, elle plonge à pic vers la plage, invisible de l’atelier. L’endroit est désert, des dunes de sable, et l’habitation peu confortable : pas d’électricité avant 1954.
    La lumière, franche, forte, est d’une beauté ! Joséphine a noté que le soleil, rouge, a la grosseur d’un ballon. Edward ne l’a jamais représenté dans une toile,
une aquarelle : ce serait trop vif, trop fort. Mais il a peint les maisons et les fermes des alentours. Sur les pentes, elles ont l’air de bateaux ou de barques échouées, tirées sur le rivage, laissées là par le retrait de la mer, la marée ; comme l’arche sur le mont Ararat devint avec le temps une sorte de grange, une remise, une immense cabane de jardin. Et les arrière-petits-enfants de Noé jouèrent dans ces décombres de bois et de poutres, cette charpente vermoulue à ciel ouvert que parfois rinçaient les pluies, parmi les lucarnes sans volets, sans vitre ; comme dans un grenier. Des averses, une pluie, qui n’effrayaient personne. Parfois, c’était la grêle et les grêlons, la neige, une neige merveilleuse sur ce jardin de planches ; et toujours le vent dans ce qu’on aurait pris pour des vergues nues. Parfois les sacs mauves de l’orage, noirs, violets, violacés, entassés sur le dos des montagnes et les épaules des collines ; parfois, pont transparent, cristal, arche immatérielle comme un souffle, queue de paon qui fait la roue et se dissipera telle une buée sur le verre, une haleine, l’arc-en-ciel, fête offerte aux enfants et à tous ceux qui sont toujours ces enfants qu’émerveillent la prêle des prairies, la pâquerette, le bouton-d’or. Les enfants glissaient assis sur la passerelle en pente dont nul ne savait plus qu’elle avait ployé, jadis, grincé sous le cortège nuptial et le pas de toutes les bêtes du monde, et de la famille pour qui la terre, toute neuve, déserte, serait l’île de Robinson. Peut-être quelques livres, dans les chambres d’enfants, sur les étagères, racontaient-ils, avec des images, la naissance du nouveau monde. Ou bien l’odyssée du May Flower . À l’École du dimanche, dans son enfance, à Nyack, Edward Hopper, sur ses cahiers de catéchisme, a-t-il
dessiné le vaisseau du patriarche ? N’a-t-il songé qu’à l’arc-en-ciel ?
    C’est une espèce de maison de gardien de phare, un phare, une arche que Hopper habite, où il travaille et peint, en cette extrémité du monde, dans la lumière, la lumière et le vent, la solitude ; une île, aussi. Cette maison de bout du monde, blanche, de lignes pures et de volumes simples comme ceux de l’architecture moderne, nous fait rêver. Elle faisait rêver aussi, réelle, Joséphine et Edward. Quand ils la quittaient, à la fin de l’été, aux premiers froids d’automne, pour retourner à New York, au quatrième étage de leur appartement, Washington Square North, quand ils avaient rabattu et fermé les volets, cadenassé la trappe du sous-sol, fermé à clef la porte, la voiture chargée de tout ce qu’il leur fallait remporter, avec l’inquiétude d’oublier quelque chose d’indispensable, ils faisaient leurs adieux à la maison ; ils lui disaient adieu ; peut-être Joséphine, comme une enfant, lui envoyait-elle un baiser, soufflant dans le creux de sa main tendue vers la maison, blanche ; comme on souffle sur une graine emplumée, avec le vœu qu’elle fleurisse. Mais la reverraient-ils, l’année prochaine, y vivraient-ils encore une saison, le bonheur et la lumière d’une saison, de l’horizon, de la maison ? Parfois, et souvent à cet instant-là, ils se souvenaient qu’ils vieillissaient. Ils ne verraient pas toujours, chaque matin, le soleil rouge monter comme un ballon jusqu’au zénith. Sans doute, dans la voiture, Joséphine se retournait-elle pour voir le toit n’être plus qu’une ligne, disparaître. C’était, ce dernier regard, la tête qui se tourne, l’avantage d’être, par Edward, privée du droit de conduire.
    Grande lumière, grand paysage, heureuse solitude. Au large, on voit parfois passer et plonger les baleines.
On pense à Nantuckett, à Melville. À ces îles vivantes, profondes, mobiles, nomades, que sont les baleines. On contemple. On est vêtu de vent et d’horizon.
    La dernière année de sa

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