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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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ainsi ?
    Elle a posé l’autre bras sur le lit, la blancheur du drap. Elle ne porte qu’un léger corsage blanc, une chemisette de nuit, à peine entrouvert. On ne voit pas ses seins, on en devine à peine la naissance ; ni ses épaules. Si elle tient la tête baissée, est-ce tristesse, ou par un peu de honte ? La pointe de son pied, comme l’orteil d’une baigneuse sur la plage, touche le double plan de lumière que le soleil projette avec l’ombre du bois vertical du milieu de la fenêtre, obliquement, sur le tapis vert tendre. Comme si le soleil pouvait la consoler de la solitude. Comme si la solitude pouvait la consoler de l’abandon.
    Ce tableau est une fête subtile de couleur : les bruns du lit et des meubles, l’ocre des murs et le jaune de la couverture ou du dessus-de-lit, avec le jeu délicat de trois rayures rouges, tout près d’un brun clair, chaleureux. Ce pourrait être un hommage à Degas, où la première manière de Hopper, ses bruns, se marie à la palette claire des impressionnistes, à la légèreté radieuse du pastel. La liberté de l’indication des rais de soleil, un trait imprécis de pinceau, est un délice.
    Il est possible que ce tableau ne soit qu’une scène d’intimité, rêvée, sinon vue, par le peintre. Une jeune femme qui dormait ou sommeillait demi-nue, prenant plaisir au contact de ses cuisses l’une contre l’autre,
rien de plus, s’est laissée glisser à terre, comme pour y prendre, rêveuse encore, une espèce de bain de lumière, de bain de soleil, après ce bain de sommeil. Ses pensées, sa rêverie lui appartiennent ; elle se trouve bien avec elle-même, seule ; dans cette chambre qui est à son goût, cette pièce où elle est chez elle. Peut-être est-ce dimanche, un dimanche d’été, et la modeste chambre est un concert de couleurs, une composition digne du pinceau d’un peintre, une musique de chambre.
     
    Joséphine et Edward se rencontrent dans l’atelier de Robert Henri. Ils se reverront à Amsterdam, quand Edward séjourne à Paris et rejoint aux Pays-Bas Henri et quelques-uns de ses élèves qu’il emmène comme souvent visiter les musées. Joséphine est d’un an plus jeune qu’Edward. Ils se marient en 1924. Ils ont passé la quarantaine. On ne peut imaginer plus grand contraste dans un couple. Elle est vive, ronde, joviale, aimable, avenante, sociable, gaie, petite – extravertie . Il est grand et maigre, renfermé, taciturne, laconique, introverti . Elle aime s’habiller de couleurs vives. Il ne la voudrait que vêtue de brun, de noir, et va jusqu’à lui « racheter » ses habits colorés, pimpants. Tout cela, je l’emprunte à Gail Levin. Le couple a tenu, pourtant, jusqu’à la fin. Même, dans les dernières années, les derniers mois, il semble qu’il y eût entre eux un certain apaisement. Y avait-il en chacun une blessure telle que la présence de l’autre fût nécessaire à la douleur ? Un soir de Saint-Valentin, si j’ai bonne mémoire, ou un soir d’anniversaire, et comme ils écoutaient à la radio une valse de Strauss, Edward quitte son chevalet et prend dans ses bras Joséphine pour danser. C’est elle qui l’avait initié à la valse. Un soir de Noël, dans
l’atelier, ils écoutent à la radio de la musique. Ils sont assis sur le coffre à charbon. Edward se penche vers elle et l’embrasse.
    Mais Joséphine souffrait. Les très nombreux cahiers de son journal, dont Gail Levin cite des passages, le prouvent. Deux peintres, deux chevalets, deux carrières sous un même toit. Je ne sais comment Robert et Sonia Delaunay ou Arpad Szenes et Vieira da Silva, ou Niki de Saint Phalle et Tinguely ont vécu cette confraternité, ce voisinage, cette proximité. On imagine une collaboration, une alliance, un compagnonnage. Une osmose.
    Quand il arrive à Edward de représenter Jo en train de peindre, à l’atelier, ou à l’avant de leur voiture, lui se tenant sur la banquette arrière, et son manteau posé sur le dossier face au volant, marquant la place de celui qui conduit, il se dispense de montrer la toile, l’aquarelle, ou se borne à une forme vague, une montagne imprécise. Rien d’un hommage, d’une reconnaissance. La peinture de sa femme n’avait aucun intérêt pour lui. Joséphine affirmait que souvent Edward avait trouvé le point de départ de telle de ses toiles dans une peinture qu’elle avait faite. Raison de plus qu’il aurait eue pour faire en sorte qu’on la néglige.
    Il est

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