Elora
Ganay, Laurent de Beaumont et Jacques de Montbel.
Lorsqu’ils passèrent le pont, la clameur des Romains venus les escorter réchauffa le cœur de Djem. Certes, après avoir souffert de l’échauffourée entre les Catalans de la garnison du château Saint-Ange et les Suisses de l’armée française, des exactions en nombre, multipliées à la veille du départ, sans parler des palais saccagés, la population avait de bonnes raisons d’être enchantée de leur départ, mais il n’empêche. Djem se réjouissait de ces mains tendues qui le saluaient, de ces sourires qu’on lui adressait. Il était heureux. Et le bonheur avait été si rare en sa vie qu’il savourait chaque seconde de sa progression hors les murs de la vieille ville comme une victoire. La veille, Lucrèce était venue lui souhaiter un bon voyage, avec l’air pincé d’une femme qu’il avait réussi à nourrir d’espoir jusqu’à la dernière minute et qui comprenait enfin avoir été jouée. Il avait ri. Ri à s’en décrocher la mâchoire à peine avait-elle tourné les talons. Ri à soulever Hélène dans ses bras et à la faire tournoyer jusqu’à ce qu’elle demande grâce. Il ne l’avait reposée que pour l’embrasser avec la fougue d’un premier baiser. Ils partageaient la même certitude. Ils étaient désormais libres de s’aimer.
Il lui coula un regard de biais.
Montée à crue sur un cheval bai, habillée à la turque, elle était aussi à l’aise que Nassouh. Elle regardait droit devant, avec un brin de fierté et de moquerie, les épaules du seigneur de Saint-Quentin qui bougeaient au pas de sa monture. Il ne s’était pas passé un mois sans qu’avec Marie de Dreux son épouse, Laurent de Beaumont vienne au château de Bressieux pour visiter Hélène et Aymar de Grolée. Ils étaient amis de longue date. Hélène s’était rassurée de constater qu’il ne l’avait pas reconnue. Elle avait eu peur que ce ne soit le cas de Jacques de Montbel, le sire d’Entremont, mais celui-ci s’était désintéressé d’elle dès le lendemain qu’il l’avait rencontrée.
Tout était au mieux en vérité.
Djem embrassa l’azur qu’aucun nuage ne troublait. « Oui, songea-t-il en aspirant l’air froid et vif de ce vingt-huit janvier, c’est une magnifique, une exceptionnelle journée. »
*
La nuit était enfin tombée sur le manoir de la Rochette et Mathieu rejeta l’épaisse couverture de laine qui le recouvrait. Depuis quelques minutes, aux abois, il guettait les bruits de la maisonnée. Elle était silencieuse, mais il était prêt à parier que derrière la porte de sa chambre, un garde restait vigilant pour le cas où il aurait envie de s’échapper. La promptitude avec laquelle l’homme de main d’Enguerrand était intervenu lorsqu’il l’avait plaqué au sol tendait à le prouver. Quoi qu’en prétende le chevalier, au nom de leur ancienne amitié, Mathieu se savait prisonnier. Il n’avait pourtant aucune envie d’attendre de fumeuses explications. Quant à pourfendre Enguerrand pour se venger, ici, c’était impossible. Avant qu’il ait pu se procurer une arme, il serait déjoué et quand bien même, il se trouverait toujours un soldat pour s’interposer. Mathieu n’avait d’autre choix que de ruser. Car s’il était une chose que le malandrin désirait plus fortement encore que la mort du chevalier, c’était de connaître le sort de son fils. Il restait une chance, infime, pour qu’il ait été épargné à cause de son jeune âge. Mathieu ne voulait pas la gâcher par des actes irraisonnés.
Il se sentait assez vigoureux à présent pour se glisser par la fenêtre, descendre au long du tronc épais de la clématite, et de là, gagner le pigeonnier, en face, qui faisait corps avec la muraille d’enceinte de la maison forte. Malgré son infirmité, l’escalader resterait un jeu d’enfant. Se laisser retomber de l’autre côté et cavaler jusqu’à la forêt, également. Au matin, il serait loin.
Certes, il lui faudrait longer les falaises, se heurter à ses souvenirs puisque c’était là, au milieu des rochers, qu’il avait découvert Algonde, le corps disloqué et le cœur arraché, mais il n’avait pas le choix. Il ne voulait pas abandonner son fils comme il avait abandonné sa fille.
Il n’était pas guéri de cette nuit, terrible, où, arrivant au château de Bressieux, il avait appris que son épouse s’était enfuie avec Elora pour sauver l’enfant d’Hélène et de
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