Elora

Djem. Marthe s’était élancée sur leurs traces, le distançant grâce à ses pouvoirs surnaturels. Bien sûr, il était arrivé trop tard. La bataille, démoniaque aux dires des villageois qui y avaient assisté, était déjà jouée. Les restes d’un petit corps velu dans une grotte habitée par des loups avaient témoigné de la fin de l’enfant d’Hélène. Quant à Algonde, le prêtre n’ayant pas voulu lui donner les sacrements par crainte de voir le diable ressurgir, il l’avait enroulée dans son mantel, l’avait chargée devant lui sur sa selle et au pas, l’âme écartelée et le cœur en cendres, il l’avait ramenée à sa mère en le castel de Sassenage. Il n’était resté que quelques minutes, le temps d’embrasser la défunte au front et de jurer de ramener Elora. Il avait failli. Personne n’avait pu le renseigner. Entre ceux qui ne savaient rien, ceux qui avaient vu et n’étaient pas sûrs, ceux qui étaient sûrs et ceux qui extrapolaient, il avait exploré mille pistes sans trouver une seule qui fût vraie. Il avait espéré l’appui de la grand-mère d’Algonde, la fée Presine qui se cachait sous les traits d’une sorcière en la forêt de Sassenage. Il ne put la trouver. Il sonda chacun des souterrains de la contrée, sans davantage de succès. Pour finir, il était venu s’asseoir au bord du réservoir des Cuves du Furon, avait supplié Mélusine de lui venir en aide. La démone était restée sourde, sans doute furieuse de la mort d’Algonde qui, en empêchant sa libération, l’avait privée du trône des Hautes Terres, ce légendaire monde que des géants peuplaient en des temps immémoriaux. Selon Algonde, un seul être pouvait empêcher le mal de vaincre, de s’étendre et d’asservir l’humanité. Elora, leur fille, lorsqu’elle serait en âge de lutter. C’était pour cette raison qu’elle avait été emmenée ou tuée par Marthe.
    Désespéré, certain qu’il ne pouvait plus rien pour sa fille puisqu’il n’avait aucun moyen de gagner ces Hautes Terres, Mathieu avait rejoint sans les chercher Villon et sa bande.
    Mais depuis, pas une seule nuit il n’avait dormi en paix. Voilà pourquoi il s’était enfui lorsqu’il s’était retrouvé devant Mélusine au lac de Choranche. Sitôt qu’il fermait les yeux, il voyait la démone tendre ses bras vers lui, les joues ruisselantes de larmes et l’appeler. Désormais, seul l’amour d’un homme pouvant l’arracher à sa malédiction, elle espérait sans doute qu’il céderait à cette ressemblance. Mathieu s’y refusait. Il ne la délivrerait pas. Il le devait à la mémoire de sa femme, massacrée au nom de ses manigances, et de sa fille qu’il ne reverrait jamais. Mélusine était de la pire engeance, l’être le plus fourbe et vil qu’il ait rencontré.
    Il pouvait accuser Enguerrand, elle était autant coupable. S’il n’avait craint qu’elle n’utilise son fils pour le piéger, il l’aurait laissé à Choranche au lieu de l’emmener. Peut-être, alors, Petit Pierre aurait pu s’échapper. Mais non. Une fois encore, il avait fallu qu’elle se mette en travers des siens. Et lui enlève ceux qu’il aimait.
    Son regard tomba sur les armoiries sculptées dans la pierre du manteau de cheminée. Même là, elle le narguait de son corps de serpent enroulé autour d’une épée. Il lui tourna résolument le dos et entreprit silencieusement de s’habiller. Il achevait d’enfiler ses bottes lorsqu’il fut éberlué de voir un pan de mur bouger. Il pensa sur l’instant être pris de vertige, mais non. Un bloc entier venait de s’ébranler, révélant le halo d’une lanterne. Sa surprise fut plus grande encore lorsque pénétrèrent dans la chambre Celma qui ouvrait la marche, puis Briseur et La Malice, dont la voix, rieuse et basse, acheva de le convaincre qu’il ne rêvait pas éveillé.
    — Alors quoi, tu croyais quand même pas qu’on allait t’abandonner ?

30
     
    Algonde avait insisté auprès de ses nouveaux amis. Ne rien dire à Mathieu au sujet de Constantin et de Presine. Ne rien révéler la concernant. Lui seul, en passant par-dessus sa peur et son aversion, en retrouvant en lui assez d’amour pour elle, telle qu’elle était ce jourd’hui, pouvait la délivrer. Révéler son identité ne changerait rien, sinon le tourmenter à jamais s’il n’y parvenait. Mathieu devait accepter de sauver Mélusine et non Algonde. Presine le lui avait assez répété. Voilà pourquoi