Elora
compagnons, indécis.
— Rassemblez nos affaires et rejoignez-nous, leur dit-elle, avant de s’élancer à ses trousses, le cœur lourd de la douleur d’Algonde.
Leur stratagème n’avait pas opéré.
Elle trouva Mathieu assis sur une pierre plate à l’issue du souterrain, une lieue plus loin. Égaré par le doute, l’angoisse et l’incompréhension, il s’y était laissé choir, fauché par la lumière lunaire et l’air vif. Au bruissement des branches qui masquaient l’ouverture dans un pan de roche, il tourna le buste un peu trop brusquement.
— Ce n’est que moi, le rassura Celma en s’approchant.
Il la laissa s’installer près de lui et comme autrefois, lorsqu’ils revenaient d’embuscade, accepta sa tempe contre la sienne.
— Les autres vont nous rejoindre. Le temps de ramasser vivres, armes et couvertures et nous prendrons la direction de Romans.
Mathieu ne répondit pas. Il ne parvenait pas à faire la part du rêve et de la réalité. Le fait que Mélusine n’ait pas jailli des eaux pour le happer contredisait l’idée d’un cauchemar. Pourtant cette scène était inconcevable. Irréelle. Mélusine, disposée au bien ? Il ne pouvait y croire. Il avait trop souffert de ses manigances, il avait trop perdu. Quoi qu’elle ait pu faire pour ses amis, c’était dans le but de le ramener à sa cause. Celma et les autres pouvaient s’y laisser prendre. Pas lui. Pour autant, il avait besoin de réponses. Éperdument besoin de réponses.
Il enroula son bras autour des épaules de Celma.
— Raconte-moi, demanda-t-il.
Lorsque Briseur, La Malice, Jean et Bertille parurent vingt minutes plus tard, il savait l’essentiel. L’attaque de la grotte de Choranche, Mélusine jaillie des eaux, Fanette mutilée, le rapatriement vers le repaire de la femme-serpent. Puis les retrouvailles avec les deux malandrins libérés par le prévôt, l’exécution de leurs compagnons, le sacrifice de Fanette, la disparition de Petit Pierre que Hugues de Luirieux recherchait discrètement, tout en laissant croire qu’il le détenait encore et, pour finir, l’inquiétude et l’attachement de Mélusine à sa personne. C’était elle qui, le veillant discrètement de ses pouvoirs, leur avait annoncé qu’il s’était enfin réveillé, elle qui les avait convaincus de le ramener. Elle voulait son pardon. Rien de plus. Ensuite, elle le laisserait en paix.
Cette dernière révélation renforça son sentiment. Mélusine avait besoin de lui comme elle avait eu besoin d’Algonde. Il hésita pourtant. Peut-être fallait-il qu’il affronte sa douleur une dernière fois pour pouvoir s’en libérer. Qu’il accepte enfin la mort d’Algonde à travers ce visage qui le supplierait.
Retourner sur ses pas…
Les autres s’étaient écartés, fondus dans l’obscurité de la forêt qui les cernait. Mathieu se leva. Choisit de les rejoindre. Celma le retint par la manche.
— Fais un geste, Mathieu. Les êtres ne sont pas toujours ce qu’ils paraissent, c’est toi-même qui me l’as enseigné.
Il se dégagea.
— Plus tard, Celma. J’ai d’autres priorités.
Elle baissa le front sur cette évidence. À quelques pas, elle devina Presine et Constantin, tapis dans l’ombre.
Laissant Mathieu partir devant, elle leur adressa un adieu discret, puis s’en fut rejoindre les siens, attristés comme elle de ne pouvoir rien révéler.
*
Les coqs s’époumonaient lorsque Enguerrand décida de se lever. Pris d’insomnie, il s’était retourné en vain sur sa couche, réveillant la douleur des coups de Mathieu sur son visage chaque fois qu’il s’enfonçait trop dans l’oreiller. Il était habitué à dormir peu depuis la mort de Mounia, mais cette nuit c’était un autre visage qui était revenu le hanter. Celui d’Algonde. Preuve que la détresse de Mathieu avait pénétré profondément en lui, rouvrant les portes d’un passé dans lequel la jouvencelle avait tenu une place primordiale. Mathieu refusait de le voir mais ils étaient semblables désormais. Plus de seigneur et de vassal. Juste deux hommes rongés de douleur et de vengeance, de souvenirs et de regrets. Le chevalier le savait. Pour lui, il était trop tard. Mais pas pour Mathieu. Il lui avait fallu la nuit pour que s’impose une évidence. Une évidence qui contredisait les propos de sa mère à la Bâtie. Mathieu n’aurait jamais pu abandonner sa fille. S’il l’avait fait, c’était contre son gré.
Lorsqu’il
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