Elora
s’étrangla.
— Fanette ?
— Elle-même…
— Petit Pierre ?
— Parti. Envolé.
— Un échange…
— En quelque sorte, lui concéda Fanette.
Hugues de Luirieux étouffa un juron. Décidément, cette garce avait l’art de l’exaspérer. Et tout autant de le surprendre. Il ouvrit un coffre, en arracha de quoi se rajuster.
— Comment as-tu fait, dans la grotte ?
— Une alliée inattendue.
Luirieux enfila des braies propres. Se moqua :
— Mélusine ?
Fanette se mit à rire.
— Une légende n’est pas toujours ce qu’elle paraît.
Il lui fit face, reprenant sa dignité.
— Ton exécution n’en sera pas une. Cette fois, tu ne pourras pas t’échapper.
Fanette décroisa nonchalamment les bras de derrière sa nuque.
— Ne sois pas stupide. Si je l’avais voulu, tu n’aurais trouvé personne à ton retour.
La certitude qu’elle disait vrai l’agaça. Et plus encore de ne pas comprendre pourquoi elle se condamnait.
— Alors quoi ? Ton fils n’a pas voulu te pardonner ? Les autres non plus peut-être…
Fanette ne se laissa pas atteindre par cette évidence. Elle empoigna la bouteille, remplit de vin le gobelet qu’elle avait trouvé sur place et un autre, découvert dans un coffre. Elle poussa ce dernier vers lui. Il se rapprocha, le prit en main. Elle leva le sien.
— Je suis restée pour te faire une confidence.
Elle avala une infime gorgée de breuvage.
— Vraiment ?
Luirieux reposa, lui, la boisson sans y toucher. Finalement, il en avait bu assez pour la soirée. Fanette soupira.
— Il y a dix ans de cela, de nuit et en pleine forêt à hauteur de Quaix-en-Chartreuse, tu as croisé une paysanne qui s’était perdue.
Il haussa les épaules. Il ne voyait pas où elle voulait en venir.
— Cela ne m’évoque rien, mais c’est possible. Je quadrillais l’endroit durant cette période.
— À la recherche d’une bande de brigands. Du Mathieu surtout, n’est-ce pas ?
Il fronça les sourcils sur la certitude que Briseur et La Malice lui avaient tout raconté.
Fanette lui désigna son verre.
— Tu devrais boire une rasade, Hugues de Luirieux. Tu vas en avoir besoin.
— Pas soif.
— Dommage… Parce que cette paysanne que tu as culbutée entre deux souches d’arbres n’en était pas une en vérité.
Il s’agaça. Il était fatigué, migraineux de la foule hurlante, de trop de chère et de vin, enrhumé de courant d’air glacé et indisposé de fait à se venger d’elle aussi pleinement qu’il en avait rêvé. Demain, par contre, dès la première heure. Il marcha vers la porte.
Elle l’arrêta sur le seuil.
— C’était moi. Cette fille dans le bois. C’était moi.
Il fit volte-face. Livide. Rattrapé soudain par le souvenir qu’elle évoquait et l’évidence qu’il était passé à quelques pas de celui qu’il recherchait.
— Qu’espères-tu avec cet aveu ? Adoucir ma haine ?
— Juste sauver mon fils, Hugues de Luirieux. Et le tien pour le cas, infime, où tu le retrouverais.
Il tituba. Avisa le verre sur la table. Elle avait raison. Il en avait besoin. Il fondit dessus. Buta sur ses bottes, s’emmêla les pieds, partit de l’avant, se rattrapa de justesse à la bordure du bureau, renversa son gobelet et ébranla tant le meuble que le vin de Fanette se déversa de moitié. Le visage de celle-ci s’assombrit d’un coup. Elle ricana.
— Décidément, tu es comme moi, tu gâches toujours tout.
Anticipant une autre catastrophe, elle avala d’un trait ce qui restait, alors qu’il se redressait. Il voulut se resservir. La bouteille était vide. Il jura. Contourna le bureau, la prit au col avec tant de violence qu’il la décolla du siège.
— Tu mens, Petit Pierre ne peut pas être mon fils.
— Il l’est, je te le jure. N’as-tu pas à l’intérieur du genou une tache de naissance en forme d’étoile ?
— Co… co…
Elle toussa. La tête lui tournait.
— Petit Pierre a la même. Et toi… toi aussi, j’en suis sûre. Pas Mathieu.
Son visage virait au violet, se boursouflait. Luirieux la lâcha brusquement. Recula d’effroi.
— Qu’est-ce que…
Elle s’affaissa sur le siège, le souffle court et sifflant, la poitrine barrée d’une douleur vive. Elle trouva la force de le narguer.
— Fini de jouer. J’ai gagné, prévôt.
Elle s’étouffa, lui fit signe d’approcher. S’accrocha à son gilet. Chuchota à son oreille :
— T’auras pas d’autre
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