Elora

Algonde se tordait les mains d’angoisse, dissimulée derrière un rocher. Cet instant, elle l’avait attendu dix ans, espéré dans la grotte de Choranche avant de voir Mathieu s’enfuir en courant. Depuis, elle ne se berçait plus d’illusions, malgré les runes de Celma qui prétendaient la fin proche de sa malédiction. Si Mathieu n’était pas revenu vers elle de son plein gré malgré tous les appels qu’elle lui avait lancés en ses rêves et sa détresse à Choranche, il y avait peu de chances qu’il le fasse contraint et forcé.
    Celma lui avait entouré les épaules de son bras chaleureux lorsqu’elle lui avait confié ses craintes.
    — Regarde autour de toi, Algonde. Ceux que tu as réunis, sauvés. Constantin bien sûr, mais Briseur, La Malice, Bertille, moi, Jean et même Fanette. Je ne l’aurais pas crue capable de ce qu’elle a fait pour Petit Pierre. Je ne me serais pas crue capable de lui pardonner.
    — Pour autant Petit Pierre est introuvable et Jean, malheureux…
    — … Mais fier de sa mère comme il ne l’a jamais été. Mathieu saura où chercher son fils. Tu dois avoir confiance. Nous sommes à tes côtés… Nous sommes ta famille désormais.
    Mais à l’instant où Mathieu s’immobilisa à l’entrée de la grotte, comme brûlé au fer par la vision du lac qui s’étendait sous la voûte, elle comprit que cette famille-là ne serait pas recomposée.
     
    — Alors quoi ? le bouscula Briseur qui arrivait derrière lui.
    Mathieu ne bougea pas. Glacé de la tête aux pieds, il était soudain incapable d’un pas de plus. Passé le moment des étreintes fraternelles, il avait suivi ses anciens compagnons sans hésiter. Avait descendu les escaliers sans bruit pour ne pas risquer d’alerter son gardien. S’était éloigné par le tunnel, toujours en silence. Les explications viendraient bien assez tôt. Il était libéré d’Enguerrand et la joie lui étreignait le cœur d’apprendre en deux mots que Petit Pierre était sauf. Il s’attendait à le retrouver au sortir du passage. Et avec lui nombre de leurs compagnons. Mais c’était l’antre de Mélusine qu’il découvrait et dans sa poitrine, une angoisse démesurée prenait soudain toute la place, l’empêchant de respirer.
    — Ça va pas vieux frère ? s’inquiéta La Malice en s’immobilisant à ses côtés.
    Mathieu n’eut pas le temps de répondre, de les mettre en garde, que, déboulant tel un furet, Jean vint se jeter dans ses jambes en levant vers lui de grands yeux satisfaits.
    — Alors c’était vrai ? T’es réveillé ?
    Mathieu l’enleva dans ses bras. Ils lui faisaient face, tous, dans la lueur de la torche. Celma, Briseur, La Malice et Bertille qui venait de sortir de l’ombre à son tour. Aucun d’eux n’était blessé, aucun d’eux ne paraissait inquiet, au contraire il se dégageait de leur groupe une belle sérénité. Il se détendit un peu. Froissa les boucles rousses de Jean de sa main valide.
    — Où est ton frère ?
    La joie de l’enfant disparut de ses traits.
    — On sait pas. Mais tu vas le retrouver, pas vrai ?
    Le cœur de Mathieu s’étrangla de nouveau.
    — Viens, lui dit Celma, on va te raconter.
    Déjà elle se détournait de lui pour s’enfoncer dans la grotte. Droit vers le lac. Mathieu resserra son emprise autour de la taille du garçonnet.
    — À l’air libre. Il ne faut pas rester ici.
    — Personne ne nous délogera. Tu n’as pas à t’inquiéter.
    Mathieu s’impatienta.
    — Personne à part Mélusine…
    Briseur éclata d’un rire gai.
    — Alors c’est elle qui t’effraie ?
    Mathieu se durcit plus encore. Étaient-ils devenus fous, au point de ne plus mesurer le danger ?
    — Croyez-moi, mieux vaut quitter la place avant qu’elle ne nous découvre sur son territoire.
    Jean lui taquina les oreilles d’une main espiègle avant d’y murmurer :
    — Elle sait déjà qu’on est là. C’est elle qui nous a sauvés.
    Mathieu eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Il cauchemardait. Tout cela n’était pas réel, voilà l’explication. Il était toujours dans la chambre, à la Rochette. Et cette démone utilisait son inconscience pour le tromper. Il posa Jean à terre presque brutalement. Recula, le regard empli de panique. Avant même qu’on ait pu le raisonner, il tourna les talons et s’enfuit en courant.
    Celma fit volte-face, sonda le fond de la grotte d’un regard désolé avant de le rabattre sur ses