Elora
épicé qu’elle avait goûté pourtant avec modération. Boudant le dessert, elle décida qu’un peu d’air frais ferait du bien à sa migraine grandissante. Ensuite, profitant que tous seraient encore distraits, elle se glisserait discrètement dans la chambre allouée à Djem. C’était ainsi convenu entre eux. Profiter de chaque instant d’intimité, sachant qu’en pleine campagne, sous les tentes, il leur serait plus hasardeux de se retrouver.
Laissant Nassouh à sa surveillance, elle se leva et quitta la salle emplie d’un brouhaha détestable.
Le palais était construit sur une butte qui dominait la ville, mais la nuit était si sombre qu’elle ne put rien distinguer du campement de l’armée tout autour des remparts. Elle demeura un long moment accoudée au muret de pierre d’un chemin de ronde, l’esprit vers ces terres d’Orient que lui promettait Djem, inspirant à grandes goulées l’air de leur liberté. Des bruits montaient jusqu’à elle, variés. Cris de rapace, voix étouffées, rires de femmes, raclements de sabots. À Velletri comme à Rome ou en chacune des villes du Saint-Siège, la vie nocturne, indifférente au couvre-feu, était tournée vers le plaisir. Les servantes étaient plus nombreuses en ce palais que les valets et, à en juger par les agaceries que leur prodiguaient les seigneurs français au moment où Hélène les avait quittés, peu farouches.
Elle bâilla, s’étira et décida qu’il était temps pour elle de dormir et de récupérer. Elle s’apprêtait à quitter la coursive lorsque, à la faveur d’un rayon de lune qu’un nuage venait de dégager, il lui sembla reconnaître César Borgia qui, en contrebas, se dirigeait vers les écuries. Elle s’immobilisa, sonda la progression de la silhouette, s’attendant à voir Nassouh derrière lui. Personne. Elle était prête à reconnaître son erreur lorsque, émergeant du silence et bien qu’affaibli, le timbre caractéristique du légat monta jusqu’à elle. Il s’adressait à un palefrenier. Le cœur d’Hélène battit à tout rompre. Un choc, assourdi, lui confirma ses craintes. Elle eut juste le temps de voir un corps glisser à terre avant que la lune ne soit de nouveau masquée. Le palefrenier avait été assommé. Elle porta une main à sa bouche, grignota l’ongle de son pouce. Ce traître ne devait pas s’échapper. Il était le seul à pouvoir légitimer le roi Charles sur le trône de Naples après sa victoire. Que faisait Nassouh ? Malgré les enseignements guerriers de Djem, était-elle de taille à affronter un Borgia ? Elle en doutait, mais ne pouvait laisser partir César sans réagir. Il fallait au moins gagner du temps, permettre au tchélébi de les rejoindre.
Elle se décida. Dégaina son sabre et dévala l’escalier qu’elle avait longé quelques minutes plus tôt. Il la ramena dans la cour intérieure, au pied des écuries. Il ne lui fallut pas plus de trois minutes pour se camper dans l’embrasure de la porte.
L’obscurité était totale, les chevaux paisibles. Elle se repéra au bruit. Débarrassé du palefrenier qu’elle trouva dépouillé de ses vêtements et dans les jambes duquel elle manqua s’entraver, César avait vraisemblablement entrepris de seller sa monture. Le plus discrètement qu’elle put, elle se dirigea vers le fond de la salle obscure, les lèvres pincées d’angoisse, la main tétanisée sur le manche du sabre. Le silence retomba. Elle s’immobilisa. Avait-il terminé ou entendu son pas pourtant léger ? Le souffle court, contenu au possible pour ne rien trahir, Hélène demeura là, dans la travée centrale, à l’affût d’un mouvement qui eût pu la guider ou masquer son avancée. Un raclement de sabot sur sa dextre lui fit tourner la tête. Juste l’agacement d’une bête. À la présence d’un insecte ? À la sienne ? Elle n’eut pas le temps de s’interroger davantage. Déplié comme un chat sauvage, César Borgia lui bondit sur les épaules. Elle cria de surprise. Une demi-seconde après, elle se retrouvait à plat ventre dans la jonchée de paille, le sabre arraché par la violence du choc et trop loin d’elle pour qu’elle puisse le récupérer. Quand bien même elle l’aurait pu, César Borgia, à califourchon sur ses reins, lui rabattit les poignets dans le dos avec violence. Déjà, il lui empoignait le front pour dégager sa trachée. Hélène connaissait ses manières. Elle allait mourir égorgée. Elle
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