Elora
La petiote a ben grandi mais elle a jamais manqué une occasion de me saluer. Sauf cette fois.
— Ah ! fit Enguerrand en se relevant, prêt à repartir.
Consciente de n’avoir pas retenu son attention, la servante lui crocheta le poignet, fronçant les sourcils pour aggraver l’expression d’un visage déjà abîmé par les années.
— C’est pas tout.
— Non ?
— Non.
Enguerrand eût pu se dégager, mais il n’était pas dans ses habitudes de violenter les petites gens. De toute manière, il y avait fort à parier que Mathieu était déjà loin et que c’était Algonde qui lui avait révélé l’existence du souterrain.
— Elle m’a demandé la route de Fontaine. Jamais Algonde aurait demandé la route de Fontaine. C’est là que j’ai commencé à douter. Et puis aussi quand elle a mis sa main devant ses yeux pour les protéger de la lumière. Et puis ses jambes. Elle marchait pas normalement. Elle marchait comme moi, en regardant ses pieds. Pas qu’elle était voûtée, non, juste comme si elle était étonnée d’avoir des pieds, vous voyez ?
— Je vois, lui concéda Enguerrand en pensant que cette femme n’avait certainement plus toute sa raison.
— Elle m’a pas dit merci non plus, ni adieu. Elle a quitté la place. Une heure après, y avait des éclairs plein le ciel et on la retrouvait mutilée. Si vous m’en croyez, messire, cette Algonde-là, c’était Mélusine déguisée… Mais je me suis bien gardée de le révéler, termina la vieille femme d’un air entendu.
Enguerrand lui tapota la main avec indulgence, la remercia pour ces informations qu’il qualifia de primordiales et s’en retourna à ses explorations. Comment eût-il pu croire un mot de ce qu’elle lui avait raconté ?
Lorsqu’il eut refait le chemin inverse et découvert les quelques marches qui transformaient la coursive en souterrain, il ne songeait déjà plus aux affabulations d’un esprit fatigué.
Le tunnel qui s’ouvrait devant lui était étroit, l’odeur de suif, présente. Cette fois il n’eut plus de doute, Mathieu l’avait emprunté. Il s’avança confiant. Non qu’il s’imaginât le trouver à la sortie, mais, au moins, il aurait un point de départ concret pour diriger ses recherches.
Un bruit de sanglots, intrigant, l’arrêta plus loin. Il promena sa lanterne, accrocha une ouverture circulaire dans la paroi de droite. À peine le passage d’un homme. Baissé de surcroît. Délaissant le corridor de calcaire qui continuait devant lui, il s’enfonça sous l’arche épaisse et s’immobilisa sur le seuil d’une salle gigantesque joliment éclairée de fins rais de lumière qui tombaient du plafond.
À quelques toises de lui, émergeant à demi d’un lac qui envahissait l’espace, les épaules nues recouvertes par endroits de longues mèches couleur châtaigne, une femme pleurait, le visage enfoui dans ses bras repliés sur la bordure rocheuse. Le cœur d’Enguerrand trembla dans sa poitrine face à sa poignante détresse. Il se sentit incapable de passer son chemin.
Pas davantage lorsqu’une queue de serpent émergea de l’onde pour la fouetter avec rage, réveillant en lui le souvenir de la légende et les paroles conjointes de la servante et de maître Dreux. La plainte qui emplissait l’espace, telle une prière désespérée dans cette cathédrale de calcaire, trouvait un écho en ses veines, annihilait la monstruosité physique de la créature, le renvoyant à d’autres, invisibles chez ses semblables, mais dont il avait souffert plus que de raison.
Il se délesta de sa lanterne devenue inutile et s’avança jusqu’à elle dans l’espoir d’apaiser son tourment, quelle qu’en fût la manière.
Tout à son désespoir, elle ne l’entendit pas venir, s’agenouiller sur le sol détrempé. Ce ne fut que lorsqu’il posa la main sur son épaule qu’elle leva vers lui son visage ravagé.
Enguerrand s’étrangla alors de surprise et d’émotion, tandis que battaient en son cœur les mots de la servante. Une évidence. Un nom.
— Algonde…
Elle recula dans l’eau comme brûlée par son contact, secoua la tête.
— Oh ! Enguerrand, si tu savais…
Il la retint par le bras, planta son regard dans le sien. Fouilla ses larmes.
— Je sais, dit-il, ému, en la ramenant vers le bord.
Avant qu’Algonde ait pu s’en étonner, il cueillait son visage dans le creux de ses mains et, succombant à un désir longtemps refoulé, se penchait sur
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