Elora
hurla :
— Pitié ! Je ne dirai rien.
La lame s’immobilisa à l’instant de trancher.
— Tiens, tiens, mais c’est mon joli Turc…
Hélène approuva d’une voix troublée par l’angoisse.
Si elle pouvait gagner quelques secondes, laisser le temps à Nassouh d’intervenir. De la sauver.
— Partez, César. Partez où vous voudrez.
Il libéra son col mais pas ses reins, sur lesquels il s’assit sans façon.
— Je n’apprécie guère les fouineurs d’ordinaire, mais je vais faire exception pour vous et bien que nous n’ayons pas été présentés en réalité, ma chère Hélène.
— En ce cas, si vous pouviez… grimaça-t-elle, le dos broyé sous son poids.
— Vous dégager ?
— Merci…
Il se leva avec la souplesse d’un félin. L’œil d’Hélène évalua la distance qui la séparait de son sabre. Elle ne put seulement l’apercevoir, avalé qu’il était par l’obscurité. Elle renonça. De toute manière, face à pareil adversaire, seule la ruse pouvait gagner. Elle s’assit, le corps douloureux de sa chute, et épousseta ses mains l’une contre l’autre. Gagner du temps. Si ce n’était Nassouh, il s’en trouverait bien un autre pour remarquer l’absence du légat. César Borgia n’avait pas bougé. Elle le devinait devant elle, jambes légèrement écartées et, sans doute, le poignard encore au poing.
— M’aiderez-vous à me relever ? demanda-t-elle en tendant son bras.
La poigne ferme de César Borgia l’emporta sans la moindre élégance. Elle n’eut que le temps d’un nouveau cri de surprise avant de se retrouver debout et plaquée de dos contre un des piliers qui soutenaient la travée. Le fils du pape contre elle, la lame sur sa jugulaire.
— Je croyais… bredouilla-t-elle.
— Il ne faut jamais faire confiance à un Borgia, ma jolie. Dégrafe tes braies.
Le cœur d’Hélène s’emballa plus encore dans sa poitrine.
— Que voulez-vous faire ?
— M’offrir un petit dédommagement avant de partir.
— On risque de nous surprendre. Vos projets…
La lame piqua la peau.
— Justement. Hâte-toi d’ôter ces artifices masculins.
Hélène descendit son bras. Sur le côté gauche de sa ceinture se trouvait son poignard. Si elle parvenait à le saisir, à le lui enfoncer dans les côtes… Elle tâtonna tout en feignant l’obéissance.
— Tu ne le trouveras pas ici, mais contre ta gorge, s’amusa-t-il.
Elle n’insista pas. César Borgia passait pour un redoutable guerrier. Elle défit ses boutons, vaincue, soulagea son entrejambe des linges qu’elle abritait.
— Les miens à présent…
Elle connaissait bien ces manières de soudard. En son temps, Philibert de Montoison avait usé des mêmes sur elle. Hélène savait pouvoir s’en remettre, à condition de garder la vie sauve. Elle obéit. Ferma les yeux et serra les dents, prête à son sacrifice, lorsqu’un bruit de course arrêta le geste de César.
— Par là ! hurla-t-on.
Quelqu’un venait de découvrir le corps inanimé du palefrenier. Déjà, la lumière d’un falot grandissait. César Borgia s’écarta aussitôt.
Lorsque Jacques de Montbel, comte d’Entremont, parut devant elle, la lame au poing, une lanterne dans l’autre, le légat s’était déjà fondu dans l’obscurité.
— Vous n’avez rien, Hélène ?
Elle secoua la tête par réflexe, avant de se mordre la lèvre devant son sourire soulagé et complice. Il lui passa un bras autour des épaules et la poussa avec délicatesse vers la sortie.
— Rentrez vous coucher et rassurez-vous. Avec moi, votre secret est bien gardé.
Elle trouva Nassouh aux côtés de Djem et comprit aussitôt pourquoi il avait délaissé César Borgia. Le légat avait à peine quitté la grande salle, Nassouh sur ses traces, que Djem piquait brusquement du nez sur la table, affolant ses voisins et le goûteur qui, lui, se portait à merveille. Nassouh avait fait demi-tour.
Il s’avérait à présent, toute inquiétude passée, que ce n’était pas du poison mais une puissante liqueur de pavot que César avait dû, juste avant de se lever et pour faire diversion, verser dans le hanap de Djem.
Le pouls du prince restait régulier et tranquille. Il dormait.
Celui d’Hélène se stabilisa à son tour. Laissant Djem à son repos, elle raconta à Sinan Bey et à Nassouh ce qu’elle venait de vivre et s’accorda à leur constat. Au vu de ce qui venait de se produire, Djem serait bien plus en sécurité si
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