Elora
bondit de son lit pour s’habiller en hâte, Enguerrand de Sassenage avait acquis la certitude que Mathieu ignorait qu’Elora était encore en vie, et c’était une information qu’il devait au plus tôt lui révéler.
Sa surprise fut donc à la hauteur de sa déception lorsqu’il franchit la porte de la chambre de son ami. La pièce était vide, la fenêtre bouclée de l’intérieur. Il ressortit, s’enquit auprès du garde qu’il avait laissé en faction dans le couloir et revint avec lui, perplexe, pour s’assurer que le malandrin ne s’était pas caché. Il leur fallut moins d’une minute pour se rendre à l’évidence : il avait fui.
Pendant que ses hommes s’élançaient sur les routes pour le rechercher, Enguerrand s’assit sur le lit et balaya l’endroit d’un œil acéré. Tout lui indiquait que Mathieu avait emprunté un passage secret, jusqu’à cette odeur de suif qui imprégnait l’air. Ils n’en utilisaient pas à la Rochette. Quelqu’un était donc venu le récupérer. Qui, par où, pourquoi ? Autant de questions sans réponses. Il sonda les murs d’un poing fermé, tâtonna, bouscula les pierres de la cheminée avant de comprendre que, seul, il n’avait aucune chance de trouver le mécanisme d’ouverture. Mieux valait s’adresser au maître d’œuvre que sa mère avait engagé dix ans plus tôt pour construire le manoir. Enguerrand se souvenait l’avoir rencontré lorsqu’il avait pris possession des lieux après son adoubement. Il fouilla ses souvenirs en quête de son nom. Dreux. Maître Dreux. Il fit seller son cheval en toute hâte et, avant d’avoir seulement pris son matinel, galopa en direction du village de Fontaine où l’homme habitait.
Maître Dreux n’exerçait plus. Une méchante blessure à la jambe l’avait rendu infirme peu de temps après l’exécution de son frère, drapier, en place publique de Romans. Il se contentait depuis de conseiller ses fils qui avaient repris le métier. Il reçut Enguerrand avec amabilité, lui offrit de partager le bouillon clair devant lequel il était attablé avant de se renfrogner.
— Votre question m’embarrasse, messire. Je suis un homme de parole. J’ai promis à votre mère de ne rien révéler à ce sujet et je ne voudrais pas me dédire.
— Vous me confirmez donc qu’un souterrain existe bien ?
L’homme hocha la tête, mais refusa d’en révéler l’entrée. Enguerrand insista, jeta quelques pièces sur la table, en ajouta une autre devant le regard de convoitise de dame Dreux, et obtint enfin sa réponse par le biais d’une énigme qu’il ne mit pas plus de quelques secondes à élucider.
« Croyez-vous en l’existence de Mélusine ? »
Revenu à la Rochette, dans la chambre qu’avait occupée Mathieu, il enfonça l’œil de la démone au fronton de la cheminée et vit enfin le pan de mur s’écarter.
Éclairé par une lanterne récupérée auprès d’un valet, il longea la coursive qui courait sur la longueur du manoir. Le passage secret se terminait en cul-de-sac. Il jeta un œil par une des fines meurtrières qui s’ouvraient à hauteur des yeux et reconnut la salle de réception du donjon. À quatre pattes sur le parquet qu’elle cirait, une vieille servante chantonnait en activant son chiffon. Enguerrand chercha le mécanisme, le trouva sous son pied et dans un glissement silencieux apparut en pleine lumière, effrayant la servante qui hurla de surprise. Planté entre les deux murs, Enguerrand lui demanda si elle avait vu quelqu’un sortir avant lui du passage. Redressée sur ses genoux calleux, la vieille femme secoua la tête avant de se signer.
— Pas depuis dix ans, monseigneur.
Enguerrand fronça les sourcils.
— Dix ans ?
La vieille s’essuya les mains à son tablier. Les couleurs avaient regagné son visage empreint soudain d’importance.
— C’était après votre départ. Y a eu un meurtre à Fontaine. Une petiote de Sassenage.
Enguerrand s’approcha d’elle, impatient.
— Algonde ?
— C’est ça. J’étais occupée de même quand elle a surgi, comme vous. Sauf que c’était pas vraiment elle.
— Comment ça ? C’était elle ou pas elle ?
La vieille prit un air de conspirateur. D’un index osseux et recourbé, elle lui fit signe d’approcher. Enguerrand s’accroupit devant elle.
— Je connaissais la Gersende, sa mère. On était voisines à Fontaine autrefois, avant qu’elle devienne l’intendante du castel de Sassenage.
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