Elora
ses lèvres pour les embrasser.
31
Hélène était moulue. Ils n’avaient pourtant pas forcé l’allure depuis Rome, mais elle n’était plus montée à cru depuis de longues années et l’intérieur des cuisses lui chauffait un peu. Elle n’aurait pas pour autant songé à se plaindre. Djem était rayonnant, la compagnie du roi, agréable, et la ville de Velletri où ils avaient pris leurs quartiers, avenante. L’évêque leur avait cédé son palais, à contrecœur c’était visible, mais sans faire d’histoires, selon les accords que le pape avait signés.
Cette première journée de voyage avait été gaie. En sécurité sous ses vêtements d’homme, elle avait cessé de s’inquiéter d’être reconnue par les Français. Quant aux proches de Djem, ils avaient fini par oublier qu’elle était une femme tant, elle le sentait, ils respectaient son abnégation et son courage. De fait, elle-même était fière de ce qu’elle était devenue. Les leçons de Djem avaient porté leurs fruits. Elle était ce jourd’hui capable de se battre au sabre, au poignard comme à mains nues, compensant par la ruse et l’adresse sa constitution féminine. Il lui avait même enseigné l’art du tir à l’arc. Depuis, Hélène ne manquait aucune cible. Elle avait mis, à apprendre, un appétit qui avait forcé l’admiration des janissaires et, ce jourd’hui, lui permettait de se sentir en totale adéquation avec eux, riant de leurs plaisanteries. Elle était même capable d’uriner debout d’une manière inventive et légèrement acrobatique. Il lui suffisait de s’assurer que personne n’était en face pour donner le change à la discrétion d’un bosquet. Son seul souci dans quelques jours, elle le savait, viendrait de ses menstrues, mais elle avait fait provision de linges. Vu qu’elle en plaçait déjà dans ses braies ajustées, sous la tunique, pour figurer l’appareil qui lui manquait, elle imaginait sans peine pouvoir, là encore, tromper son monde sans trop de difficultés.
La soirée était donc joyeuse.
On venait de leur faire servir un repas conséquent et l’évêque, auquel le roi avait accordé l’honneur d’être à sa droite, riait plus franchement qu’à leur arrivée. Tout semblait au mieux. La vaste salle de réception du palais, surchargée de dorures et de tableaux bibliques jusqu’en la coupole du plafond, accueillait ce jourd’hui deux cents convives à cette table dressée en hâte. Les cuisiniers avaient vidé les garde-manger et composé avec goût de quoi sustenter les familiers du roi et du prince.
César Borgia était de ceux-là, au grand regret d’Hélène. Il était le seul qui eût quelque intérêt à sa perte. À la fois pour venger l’outrage du roi au pape, mais aussi en représailles des pouvoirs d’Elora. De ce fait, elle gardait sur lui un œil que les autres avaient jugé inutile, puisque par traité il était convenu qu’il les accompagnerait jusqu’à Naples et là, en vertu de ses pouvoirs de légat, couronnerait le roi Charles sitôt que ce dernier aurait détrôné Alphonse II.
Elle se méfiait d’autant plus de lui qu’un incident avait attiré son attention. César avait quitté Rome avec dix-neuf mules, harnachées à ses couleurs, et porteuses de ses bagages. Deux chargements avaient été ouverts au départ devant eux, révélant vaisselle d’or et d’argent ainsi qu’une multitude de vêtements rehaussés de pierreries. Curieusement, ce soir, à l’instant de les mettre en sécurité, ces deux-là manquaient et César n’avait marqué aucune contrariété de le constater. Au contraire, il semblait plus enjoué que la veille, riait fort et appelait l’échanson plus qu’il ne buvait, enivrant visiblement Djem à ses côtés.
Au fil des heures qui voyaient la nuit grandir sur la ville et la tablée s’émécher, Hélène acquit la certitude que le fils du pape était sur le point de filer. Ne pouvant rien en dire à Djem, elle se confia à Nassouh. Le tchélébi réagit d’autant plus favorablement à son inquiétude qu’il détestait César Borgia. Il craignait, lui, davantage ses manières d’empoisonneur et s’assurait en permanence que le goûteur de Djem testait chaque plat, chaque verre avant que ce dernier ne les porte en bouche. Pour ce faire, il se devait de garder l’esprit clair. Hélène consentit à se détendre. Du coup, la fatigue commença de peser sur ses épaules, de même que le vin traîtreusement
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