Elora
riant, lui claqua un baiser léger au front.
— Qui oublierait le chant d’une bécaroïlle ?
Elle faillit répondre Mathieu, mais s’abstint. La simple évocation de son dégoût lui déchirait l’âme. Enguerrand perçut le tremblement de sa mâchoire. Jamais il n’avait vu le regard d’Algonde aussi éperdu. Il en fut bouleversé, mais refusa d’en rien laisser paraître. Au contraire. Il se fit violence. Pour retrouver son rire, sa légèreté, sa lumière. Il en avait besoin soudain. Quelle que fût son apparence. Il égaya le timbre de sa voix d’un trait d’humour.
— Allez, viens. J’ai hâte de savoir comment tu as réussi à piquer sa place à Mélusine…
— Je ne peux pas… sortir complètement de l’eau, je ne peux pas. Le sortilège me retient.
Enguerrand l’entraîna par les épaules.
— Et alors ? Tu as peur de quoi ? Que je préfère tes écailles à cette gorge splendide ?
Elle s’illumina d’un fard, croisa par réflexe ses bras sur sa nudité, puis, éclatant de rire à sa suite, se laissa entraîner pour s’asseoir à ses côtés sur la rive. Il avait l’air heureux de sa présence. Oui, heureux. Comme autrefois. Alors monta quelque chose en elle. Un crépitement tout au long de sa queue qui lui explosa dans le bas-ventre en petites décharges de lumière. La certitude qu’elle n’était plus seule dans sa nuit, même si son aspect ne changeait pas.
32
À l’origine, elles étaient trois. Plantine, Mélior et Mélusine. Trois êtres nés de l’accouplement d’une fée, Presine, et d’un humain, le roi Elinas d’Écosse. Trois filles qui, en lieu de la grâce, de la sagesse et de la bonté de leur mère, avaient hérité de naissance le caractère querelleur, envieux et rancunier de leur géniteur. Caractère qui, très tôt, emporta les trois sœurs à réclamer justice contre leur père, lequel les avait bannies avec leur mère du monde des humains. Unies dans la colère, elles utilisèrent leurs pouvoirs magiques pour emprisonner Elinas et le tuer à petit feu. Lorsque Presine l’apprit, sa rage et sa douleur furent si grandes qu’elle décida de punir ses filles. La malédiction tomba. Chassées de l’île d’Avalon sur laquelle elles avaient grandi, Plantine fut emmurée en Aragon, Mélior devint prisonnière d’un épervier, quant à Mélusine, son mariage ayant connu le même sort que celui de sa mère, elle resta femme-serpent.
Ce dont Presine ne pouvait se douter au moment de voir ses filles s’éloigner, c’était qu’une ancienne prophétie venait de trouver son sens dans cette punition. Une prophétie rattachée à l’histoire même d’Avalon et de l’humanité tout entière.
Il n’est pas une culture, un peuple, une religion qui ne se souvienne des Géants, ces êtres prétendus venus des étoiles, porteurs de lumière et de connaissance, qui rendirent l’homme plus apte à affronter son destin. À grandir. Ces Anciens, tels que racontés dans les pierres, les écrits ou les légendes, avaient laissé de leurs passages de nombreuses traces. Des menhirs jusqu’aux grandes pyramides d’Égypte, des temples sumériens aux nuraghes de Sardaigne. Et, bien au-delà des mers, un passage de leur monde originel au nôtre, dans des temps si reculés que les continents eux-mêmes étaient encore en mouvement.
Ce passage avait été oublié, peu à peu remplacé par d’autres qui avaient vu des portes s’ouvrir, telle celle d’Avalon, sur la terre des Hommes. S’ouvrir grâce à la magie. Se refermer tout autant lorsque la cupidité et la soif de pouvoir pervertirent les Anciens. L’un d’eux, Morlat, vola la table de cristal, sorte de catalyseur qui permettait, au travers de trois flacons bleus de forme pyramidale, d’extraire l’énergie pure et de la transformer en élixir de vie éternelle. Dès lors les Anciens déclinèrent. Les rivières, portes magiques au-delà du temps et de l’espace, s’asséchèrent jusqu’à disparaître, emprisonnant dans le monde des humains les Géants qui y séjournaient. Un seul résista, empêchant la porte d’Avalon de disparaître à son tour. Merlin, le sage, qui continua de transmettre le savoir, la connaissance et l’intégrité des Anciens en formant des druidesses. Hélas ! il ne put enrayer la progression du mal dans son monde. La convoitise des fourbes. Peu à peu, il se détacha de ceux qui avaient été les siens.
Lorsque Presine entendit la prophétesse annoncer que le
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