Elora

pouvoir des trois triompherait du mal et qu’un enfant velu, né d’Hélène et d’un prince d’Anatolie, reconquerrait le monde originel des Anciens, ce monde appelé les Hautes Terres, elle craignit plus que jamais la cupidité et la cruauté de ses filles. Le temps qui passa lui donna raison. S’appropriant la prophétie comme l’ultime moyen de vaincre le sortilège de leur mère, de récupérer leurs pouvoirs, leur immortalité et leur sublime apparence, les trois sœurs s’accordèrent à la vérifier et à se venger des Humains. Mélior mourut trop tôt, Mélusine fut abandonnée des siens. Seule Plantine se libéra en emprisonnant une Harpie à sa place, indifférente à la transmutation qui s’opéra alors entre elles. Avec les tares et les pouvoirs de l’animal mythique, Plantine revêtit apparence humaine et se rapprocha, sous le nom de Marthe, de la lignée de Mélusine.
    Jusqu’à ce jour où Hélène de Sassenage sortit du couvent et rencontra le prince Djem.
    Ce que ni Mélusine ni Marthe n’avaient prévu, ce fut la guerre impitoyable que Presine, leur mère, avait choisi de leur mener pour sauver les deux mondes. S’offrant à Merlin juste avant que celui-ci ne soit fait prisonnier dans les Hautes Terres et que le passage d’Avalon ne se referme, elle mit au monde un fils qui à son tour donna naissance à Algonde. Son arme était prête.
    Algonde accepta son destin. Unies, les deux sœurs seraient invincibles, mais elles étaient bien trop égoïstes pour se contenter d’une régence à deux têtes que compléterait l’enfant-roi. Une des deux devait mourir. Ce fut Mélusine, qu’Algonde libéra en prenant sa place.
    — Elle n’avait pas au cœur la noirceur de Marthe, c’était un moindre mal pour nous tous. À présent c’est à Elora, ma fille et celle de Mathieu, née de féerie, qu’incombe la lourde tâche de réunir ceux que l’âme des Anciens a choisis. C’est à elle de retrouver la table de cristal volée par Morlat, ainsi que les flacons pyramides. En plus de leurs facultés propres, une fois rassemblés, ces objets indiquent l’emplacement du passage initial entre les deux mondes. C’est le seul moyen ce jourd’hui de rejoindre les Hautes Terres, libérer Merlin et rendre au monde sa lumière, conclut Algonde en tournant son visage vers Enguerrand, immobile à ses côtés.
    Elle ne s’y attarda pas.
    Le chevalier grelottant dans ses vêtements mouillés, elle l’avait invité à les enlever et les faire sécher près du feu avant qu’elle ne lui raconte son histoire. Lorsqu’il était revenu vers elle, enveloppé dans une des couvertures qu’avait abandonnées la bande de Celma, elle avait pris soin de ne plus le regarder pour se garder du trouble que sa nudité éveillait en elle.
    Le silence retomba entre eux, lourd de cette confidence, mais plus encore des échos qu’elle avait trouvés en Enguerrand, réveillant une à une ses blessures. Ce fut la voix de ce dernier, altérée par une poignante émotion, qui monta à son tour sous la voûte de calcaire :
    — Elle s’appelait Mounia. Lorsque je l’ai connue, elle tentait d’échapper à la condamnation du prince Djem pour haute trahison. Je l’ai sauvée, aimée pour me guérir de toi, puis pour elle seule. Contrairement à ce que j’ai cru jusque-là, je ne suis pas venu à toi par hasard, Algonde…
    Mounia…
    Ce prénom évoqua instantanément à Algonde le visage de Houchang, parti sur les traces de l’Égyptienne qui avait dérobé à Djem un élixir puissant. Une étincelle s’alluma en ses yeux.
    — Le flacon pyramide…
    Enguerrand hocha la tête.
    — L’histoire de Mounia rejoint la tienne. Aziz ben Salek, son père, était le descendant du capitaine qui voulut ramener Morlat dans les Hautes Terres après que les Anciens furent devenus trop faibles pour lui opposer résistance. Pris dans une effroyable tempête, le navire sombra. Le Géant disparut avec la table de cristal et les flacons pyramides. Seul le capitaine réussit à se sauver. Dès lors sa quête commença. Retrouver ce précieux trésor et consigner sur peau le souvenir de la carte originelle qu’il avait pu lire sur le bateau. Mounia n’a consenti à épouser Djem que pour lui reprendre le flacon qu’Aziz avait découvert en sa possession. Elle m’a avoué la vérité après nos épousailles. Nous venions d’accoster en Sardaigne. C’est sur cette terre que j’ai pour la première fois ressenti le souffle