Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Elora

Elora

Titel: Elora Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
temps. Il lança sa sentence par-dessus l’épaule.
    — Quelques jours de cachot lui feront le plus grand bien, ensuite, qu’il aille au diable… mais sans son animal. Celui-là, vous me l’empalez !
    — Non ! hurla Khalil avant de chuchoter quelque chose à son singe, de nouveau sur son épaule.
    L’animal secoua la tête, puis, devant les yeux emplis de larmes de son maître, sauta à terre et fila entre les pattes du cheval du pape qui sortait. Deux Suisses s’élancèrent sur ses traces. Khalil se mit à rire. Ils pouvaient toujours courir. Ils ne le rattraperaient jamais. Entraîné par un autre, il passa devant les Français, posa sur eux un œil chargé de rancœur avant de se reprendre.
    — Dites à votre dame le malheur qu’on me fait, messires. Elle saura quoi en penser !
    Aymar et Jacques échangèrent un regard consterné. Se gardant de tout commentaire, ils s’accordèrent à l’invitation courtoise de César Borgia de reprendre la route. S’ils s’attardaient encore, le pape raterait son effet.
    Ramené à l’extérieur, au pied des obélisques, Khalil les regarda partir avec au cœur une animosité grandissante. Il eût pu sans peine se détacher, mais au loin, de l’autre côté du Tibre, le château Saint-Ange dardait ses murailles. Il soupira. Il avait cherché la matinée durant le meilleur moyen de passer la tour de guet. Sans le vouloir, il l’avait trouvé. Il se laissa pousser sur la chaussée, au-devant des deux cavaliers qui l’escortaient, relié au premier par la corde qui lui entaillait les poignets.

19
     
    De toutes les représentations que Fanette s’était faites du diable, celle-ci, bien réelle, était la plus impressionnante.
    À la faveur d’un flambeau qu’il tenait dans une main aussi velue que le reste de son corps, Satan posait sur elle des yeux d’un azur si pur et si intense qu’elle fut prise de convoitise en imaginant de semblables gemmes dans son escarcelle.
    Pour sûr, elle était en enfer.
    Un enfer tentateur comme châtiment de ses crimes, mais dans lequel, étrangement, si l’on exceptait la chaleur de la torche, il faisait froid.
    Elle referma les yeux. La lumière décrut au travers de ses paupières fines. Dans le noir revenu, elle perçut des bruits de voix assourdis par le grondement d’un torrent. La rivière des âmes, songea-t-elle. Noire et grouillante de toutes celles qui s’étaient perdues ou qui, comme la sienne, avaient trouvé trop tard la rédemption. En amont, le bien. En aval, le mal. Il était toujours plus facile de descendre et, elle devait le reconnaître, elle était tombée bien bas.
    Elle soupira. Elle avait désormais l’enfer pour expier, alors quelques minutes de plus à s’oublier là, c’était encore une faveur que la mort lui accordait avec bienveillance.
    Une pensée douce ramena devant ses yeux la tignasse brune de Petit Pierre, son regard noir inquiet de ne jamais lui plaire, ses mains gauches brûlant d’envie de tendresse. Cet amour trop grand qu’elle avait sciemment transformé en haine au fond d’elle lui éclata dans la gorge. Elle s’était protégée de son aîné comme elle s’était protégée de Mathieu, incapable de souffrir d’un rejet tôt ou tard incontournable.
    Des larmes piquèrent ses yeux. Elle ragea contre les prêtres qui assuraient que la camarde lavait le souvenir. Au paradis peut-être. Ici, ils étaient plus marqués encore, sans doute pour mieux flageller les pensionnaires.
    Mea culpa, formèrent ses lèvres boursouflées en silence. C’étaient ces mots-là que l’abbé Vincent, le curé de Sassenage, l’obligeait à répéter avant chaque confession.
    Avait-elle aimé un seul des hommes qui l’avaient besognée ? L’avaient-ils aimée en retour ? Villon, sans doute. Oui. Villon l’avait aimée jusqu’à ce qu’elle le dégoûte par sa cruauté.
    Les taches de son sur le nez de son fils Jean apportèrent un peu de baume à ce constat désabusé. Ses yeux rieurs, sa bouche gourmande, sa manière de dire maman en avalant le m du milieu comme une pâtisserie. Les seules fois où elle s’était abandonnée à son bonheur de mère, c’était lorsqu’il dormait. Lorsque tous dormaient. Qu’elle ne soit pas prise en faiblesse. Elle l’éveillait discrètement, mentait en le prétendant victime d’un cauchemar pour mieux le prendre contre elle. Jusqu’à ce qu’il se rendorme. C’étaient ces moments-là qui avaient scellé leur entente. Sans que personne

Weitere Kostenlose Bücher