Elora
s’en doute. Sans que lui s’en doute.
Lavée de sa rancœur, elle comprenait mieux désormais ce qui avait poussé son cadet à refuser de la suivre en exil. Son lien, qu’elle avait sous-estimé, avec Petit Pierre.
Fanette sourit dans l’obscurité de la grotte infernale.
Petit Pierre.
Jean.
Ils étaient saufs. L’un sous la protection d’Enguerrand de Sassenage, l’autre sous celle d’Algonde.
Cette certitude l’apaisa. Elle seule pourrirait en enfer. Elle seule.
— Maan…
Elle s’étira, bercée par cette chanson d’hier. Grimaça sous la douleur qui poignarda ses côtes. Le diable aurait pu la réparer un peu tout de même.
— T’es réveillée, maan ?
Son cœur s’emballa. La lumière avait de nouveau forci, striant l’obscurité de ses paupières closes. Une petite main s’accrocha à son épaule. De nouveau la voix, au-dessus d’elle.
— Maan…
Une sueur froide lui inonda le front. Le diable ne pouvait pas lui avoir fait ça. Tout, elle lui avait tout abandonné sa vie durant, et accepterait tout encore de la mort. Mais pas ça. Pas son fils, prisonnier des mêmes abîmes.
Elle se redressa, ouvrit les yeux, accrocha ceux, inquiets, de Jean près d’elle, juste à côté de Satan, et hurla.
Hurla de désespoir à en vriller la voûte de la caverne, et l’enfer tout entier.
*
Mathieu cogna une fois de plus son poing fermé contre le bois épais de la porte. Une nouvelle écharde s’enfonça dans sa chair meurtrie sans qu’il en perçoive seulement la piqûre, tant sa colère était grande, son désarroi puissant. Cela faisait presque une semaine qu’il était enfermé dans cette cave tout juste éclairée d’un fenestron grillagé, en bordure de la voûte. Il avait bien essayé de se situer dans l’espace en grimpant sur une des barriques stockées là, mais il n’avait distingué que les pavés d’une cour et quelques chaussures de valetaille. Malgré ses appels au secours, personne ne s’était inquiété de lui. Il était seul, désespérément seul. Deux fois par jour, la clef tournait dans la serrure. Protégeant d’un rempart humain le valet chargé d’un plateau, quatre gaillards passaient la porte dans un sens puis dans l’autre. À ses injonctions, ils demeuraient muets.
— Pas arrivé… répondaient-ils invariablement chaque fois que Mathieu réclamait Enguerrand.
Il tapa une fois de plus sans seulement ébranler le pan de bois. Où était-il, ce bougre ? Pourquoi le laissait-il se morfondre quand il lui avait promis la liberté ? Le brigand n’en pouvait plus de ruminer comme un fauve en cage, puant de n’avoir qu’un seau entre deux barils de bière pour ses excréments et un autre pour sa toilette, près d’un matelas, certes confortable, mais sans couverture pour se réchauffer. Il y regardait la nuit succéder au jour et le jour à la nuit dans la détresse du temps perdu. Si précieux pour sauver son fils de la potence. Le pire était encore d’imaginer le regard affolé de Petit Pierre, convaincu que son père l’avait abandonné. Les mets qu’on lui servait étaient fins et rassasiants ? Du temps qu’on nettoyait sa prison, Mathieu y touchait à peine, pétrissant viandes et légumes d’une main molle, vidant à la goulée les bouteilles d’hypocras, l’esprit si torturé qu’il maigrissait à vue d’œil. À midi, il s’était tant emporté que, fauchant le plateau d’un coup de pied, il avait envoyé valser son contenu à la tête du valet qui venait de le poser. Brûlé par la soupe chaude, le malheureux avait hurlé en portant ses mains au visage. Tout ce que Mathieu avait récolté en retour avait été une volée, sans même pouvoir se défendre, puisque deux des mercenaires le tenaient fermement sous les bras. Sitôt la porte rabattue sur eux, il s’était jeté dessus pour y tambouriner, mais les heures passaient sans que rien ni personne bouge de l’autre côté.
Qu’importe, il se mettrait au sang s’il le fallait, mais finirait bien par les agacer. Sa décision était prise cette fois. Il n’en pouvait plus. Dès lors qu’ils ouvriraient, il tenterait l’impossible.
Ensuite, quand il aurait délivré son fils, il planterait Enguerrand au bout de son épée.
*
— Faut pas avoir peur, maan, c’est Constantin, il est gentil ! cria Jean en débouchant ses oreilles.
Fanette avait vidé ses poumons, bouleversée d’effroi et de souffrance, au point de faire reculer Satan dans le fond de la
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