Emile Zola
d'une satire.
De même que la Curée s'ouvre et se ferme par un même tableau correspondant, le Bois à l'aller et au retour, Son Excellence Eugène Rougon se déroule entre deux scènes jumelles, deux séances du Corps législatif, se répondant et se faisant pendant, comme ces deux toiles de Géricault qui sont au Louvre et représentent, l'une un cavalier triomphant, le sabre au poing, campé solidement sur ses étriers, enlevant son cheval qui hennit joyeusement en s'élançant, la crinière haute, à la lutte et à la victoire ;-l'autre personnifiant la défaite sombre, et la retraite difficile, montrant le même cavalier, mais démonté, la bride de son cheval las et blessé passée à son bras, descendant péniblement une pente abrupte
et s'aidant, comme d'un bâton ferré, du fourreau de son sabre inutile.
Tout le livre est dans ce cadre, la chute et le triomphe d'Eugène Rougon.
Si l'intensité d'effet produit est ici moins grande que dans la Curée, l'art de la composition y est aussi parfait. La vérité de l'histoire, l'intimité de la vie surprise, et la précision des détails y sont remarquables.
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L'Assommoir est le plus célèbre des romans de Zola, Il a fait fortune.
Le talent et l'originalité, vainement prodigués en d'admirables pages, et dont l'auteur avait fait la preuve dans les six volumes précédents, n'avaient pu forcer les portes de la grande notoriété. Zola, stagiaire de la gloire, piétinait dans le vestibule, faisant queue derrière d'encombrantes médiocrités, aujourd'hui balayées, attendant qu'on lui accordât audience. L'Assommoir donna le coup d'épaule nécessaire et l'auteur entra d'un bond dans la pleine célébrité. Il fut non seulement connu, classé, mais aussi fut-il désormais discuté, injurié, admiré. Il devint quelqu'un. Il ne fut plus permis de l'ignorer. On dut, sans doute, presque partout, accabler de mépris et d'insultes sa personnalité, son talent, mais il était interdit de ne pas savoir qui il était.
Sans ce retentissant ouvrage, Zola serait demeuré un romancier estimable, raccrochant ici et là, d'un confrère bienveillant, un éloge, et d'un grincheux, un éreintement ; tout cela sans portée, sans intérêt pour la foule. Il eût disparu, inhumé dans les dictionnaires encyclopédiques et les bibliographies, entre divers écrivains également enterrés vivants, comme Champfleury, Duranty, Charles Bataille, Marc Bayeux et autres contemporains, plus ou moins morts-nés, conservés dans les bocaux de l'érudition frivole.
Zola était littérairement perdu. On le classait, depuis la Faute de l'abbé Mouret, parmi les fantaisistes, les poètes en prose, gens qu'on lit peu, et après Son Excellence Eugène Rougon, parmi les ennuyeux, gens qu'on n'achète jamais. Son éditeur, malgré l'amitié qui existait entre eux, eût fatalement espacé les publications de ses oeuvres, de moins en moins attendues par le public, et les secrétaires de journaux se seraient empressés de déposer ses feuilletons dans l'armoire bondée, où s'étagent les manuscrits destinés à ne jamais connaître les rouleaux d'imprimerie.
Il fallait presque un miracle pour que son nouveau roman trouvât un journal pour le publier et des lecteurs pour le lire. Le miracle se produisit. Voici son explication, car tout miracle est explicable : il y avait, à cette époque, 1875-1876, tout un groupe de littérateurs, de médecins, d'artistes, de politiciens, de professeurs de droit et de sociologues, qui reprenaient, avec plus de sérieux, plus d'autorité, plus de ressources financières aussi, l'oeuvre inachevée dont Thulié et Assézat avaient disposé les fondations, dans leur revue : le Réalisme.
Ces hommes, jeunes alors, dont quelques-uns survivent, voulaient introduire dans la science, dans la philosophie, dans la linguistique, dans la politique, dans l'art et dans la littérature, la vérité, la réalité, l'expérimentation. Ils avaient pour maîtres Littré, Broca ; ils se rattachaient à Darwin, à Spencer, à Bentham. Une association assez singulière, l'Autopsie mutuelle, les groupait. Le but de cette société était l'étude du cerveau du membre décédé. Étant personnellement connu, ayant manifesté son énergie pensante, laissant des oeuvres, une trace sur le sable fugitif des générations, ce sociétaire pouvait fournir un sujet plus intéressant, plus vaste, plus précis aussi, pour l'étude du cerveau, que les
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