Emile Zola
sur la pente de la révolte, et dont la soutane semble chercher les orties, tient à la fois de Lamennais et de l'abbé Garnier, du père Didon et de Hyacinthe Loyson.
On ne discerne pas clairement ce qu'il veut, encore moins ce qu'il rêve : ses aspirations de la Rome Nouvelle sont flottantes, et il plaide assez mal sa cause devant le Saint-Père. Léon XIII le rembarre comme il faut, le cloue avec autorité et lui rive le schisme sur la bouche. Froment a pleurniché la cause des malheureux ; il a récité des articles de journaux, où les virtuoses de la misère émeuvent les coeurs compatissants.
Le Saint-Père lui répond que son coeur de pape est plein de pitié et de tendresse pour les pauvres, mais la question n'est pas là. Il s'agit uniquement de la sainte religion. L'auteur de la Rome Nouvelle n'a compris ni le pape, ni la papauté, ni Rome. Comment a-t-il pu croire que le Saint-Siège transigerait jamais sur la question du pouvoir temporel des papes ? La terre de Rome est à l'Église. Abandonner ce sol, sur lequel la Sainte Église est bâtie, serait vouloir l'écroulement de cette Église catholique, apostolique et romaine. L'Église ne peut rien abandonner du dogme. Pas une pierre de l'édifice ne peut être changée. L'Église restera sans doute la mère des affligés, la bienfaitrice des indigents, mais elle ne peut que condamner le socialisme. L'adhésion du Saint-Siège à la République, en France, prouve que l'Église n'entend pas lier le sort de la religion à une forme gouvernementale, même auguste et séculaire. Si les dynasties ont fait leur temps, Dieu est éternel. Il fallait être fou pour s'imaginer qu'un pape était capable d'admettre le retour à la communauté chrétienne, au christianisme primitif. Et puis, l'abbé Froment a écrit une mauvaise page sur Lourdes. La grotte aux miracles a rendu de grands services à la religion, à la caisse du pape aussi. «La science, conclut Léon XIII, doit être, mon fils, la servante de Dieu. Ancilla Domini...»
L'abbé Froment s'incline. Il n'est pas converti, mais écrasé. Il ne peut lutter contre ce pape qu'il voulait défendre. Il ratifie la mise à l'index de la Congrégation, il rétracte sa Rome Nouvelle.
Voilà l'une des sections du livre, car il est triple : la description de la ville et une aventure romanesque constituant deux autres parties.
Les chapitres romanesques ne sont pas les plus louables. Ils contiennent des épisodes d'amours contrariées. Le prince Dario et la contessina Benedetta en sont les héros. Ces deux personnages sympathiques ont pour repoussoir un disciple de Rodin du Juif Errant. Un certain Sconbiono, curé terrible, qui empoisonne les gens avec des figues provenant du jardin des jésuites, est à faire frémir. Rien que ce curé empoisonneur aurait ravi l'excellent Raspail, qui voyait des jésuites embusqués parmi les massifs de son beau jardin d'Arcueil, et de l'arsenic jusque dans le bois du fauteuil du président des assises, lors de l'affaire Lafarge. Le roman de Dario et de Benedetta est émouvant. C'est du bon Eugène Sue.
La mort de Benedetta est singulière : bien que mariée, elle est vierge, car elle s'est refusée à son époux, Prada, personnage incertain, ambigu. Elle réserve pour son Dario, quand son mariage sera annulé, la fleur fanée de sa virginité. Dario est empoisonné par les figues du curé d'Eugène Sue, et, sur son lit de mort, transformé en couche nuptiale, Benedetta, après s'être consciencieusement déshabillée, s'offre, se livre. Zola semble dire que l'acte in extremis est consommé. Les deux amants meurent dans un spasme. Les figues empoisonnées opèrent par inhalation, par contagion, sur Benedetta qui n'en a pas mangé. Voilà qui peut dérouter bien des idées qu'on s'était faites en toxicologie, et aussi sur la physiologie du mariage. Les deux corps, unis dans cette copulation moribonde, ne peuvent plus se dessouder.
Quoi ! fort même dans la mort ! Quel gaillard ce Dario !
Un cadavre pourvu de la ténacité rigide d'un caniche vivant, c'est bien extraordinaire. Encore un exemple des exagérations méridionalistes de Zola.
Des personnages secondaires ou épisodiques, très fermement modelés, Narcisse Habert, le diplomate esthète ; dom Vigilio, le secrétaire trembleur, affirmant la puissance des jésuites ; Paparelli, reptile qu'on entend fuir sous les draperies ; Victorine, l'incrédule paysanne beauceronne ; Orlando, le vieux débris garibaldien,
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