Emile Zola
donnent de la vie et du pittoresque au mélo, qui rappelle un peu le genre des romans cléricaux qui eurent leur vogue, comme le Maudit du fameux abbé X...
Le pape est la seule figure réellement vivante du livre. Zola l'a peint en pleine pâte, sans tomber dans la satire, qui eût été une caricature indécente, et peu artistique. Il n'a pas hésité à montrer les difformités du vieillard au cou d'oiseau, les faiblesses de l'idole ; un homme après tout. Ce pape, ramassant avidement les subsides que les fidèles ont déposés à ses pieds, comptant, serrant son trésor, couchant peut-être sur les liasses de billets de banque cachées sous son matelas, en thésauriseur acharné, pour la gloire de l'Église, il est vrai, voilà un excellent portrait d'histoire. Le mouchoir, avec les grains de tabac, séchant sur les augustes genoux, achève la réalité de cette belle peinture.
Dans la partie purement descriptive, celle où Zola fait concurrence à Joanne et à Baedeker, il convient de noter, très exactement observée, la folie de construire qui agite les néo-romains. Ils rêvent de faire de leur capitale, sur l'emplacement du modèle antique disparu, une ville toute neuve, toute moderne, un second Berlin. Ils proclament, avec la nécessité des quartiers neufs, l'anéantissement complet, au moins comme ville réelle, de la Rome de l'histoire, de la cité de Romulus, d'Auguste, de Grégoire VII, de Léon X et de César Borgia. Rome, rebâtie à la moderne laissera intacte et majestueuse, dans la mémoire des hommes, la capitale impériale et chrétienne, la ville impérissable dans sa forme idéale, et considérée comme représentation et non comme réalité.
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Paris, la troisième ville dont Zola a voulu synthétiser le rôle dominateur et rayonnant, un des soleils du système mondial actuel, est le dernier volume de la trilogie des capitales. Le sobre titre du livre peut paraître ambitieux. Il est difficile de faire tenir dans un tome, si volumineux soit-il, et celui-ci dépasse 600 pages, ce que contient cette ville, ce que représente ce seul nom : Paris ! Ce n'est pas un roman, un tableau, mais dix panoramas et vingt livres qu'il faudrait, pour contenir la vie de Paris, et encore on n'en donnerait qu'une incomplète monographie, et qu'une vision partielle. La série des Rougon-Macquart, sauf en quelques ouvrages, n'est qu'une histoire de Paris, de sa vie, de ses passions, de ses idées, de ses fermentations et de ses manifestations, fragmentée et étudiée, par milieux, d'après la profession et le caractère du personnage pris pour protagoniste de l'action.
Ici, d'après le titre, devrait se trouver résumé, et comme condensé, tout ce qui constitue l'apparence matérielle, décorative, agissante, de l'énorme capitale, et aussi sa pensée, sa force civilisatrice, l'âme de Paris. Le livre de Zola ne renferme pas tant de choses. Il est même plutôt circonscrit quant au champ de vision qu'il offre au lecteur. L'auteur a décrit un coin du Paris politicien, combinaiseur de ministères et d'émissions, et montré l'écume du monde politique bouillonnant dans la ville qu'il compare, après Auguste Barbier, à une cuve énorme :
... Montferrand, qui étranglait Barroux, achetant les affamés, Fontègue, Duteil, Chaigneux, utilisant les médiocres, Taboureau et Dauvergne, employant jusqu'à la passion sectaire de Mège et jusqu'à l'ambition intelligente de Vignon. Puis venait l'argent empoisonneur, cette affaire des chemins de fer africains qui avait pourri le Parlement, qui faisait de Duvillard, le bourgeois triomphant, un pervertisseur public, le chancre rongeur du monde de la finance.
Puis, par une juste conséquence, c'était le foyer de Duvillard qu'il infectait lui-même, l'affreuse aventure d'Ève disputant Gérard à sa fille Camille, et celle-ci le volant à sa mère, et le fils Hyacinthe donnant sa maîtresse Rosemonde, une démente, à cette Silviane, la catin noire, en compagnie de laquelle son père s'affichait publiquement. Puis, c'était la vieille aristocratie mourante, avec les pâles figures de Mme de Quinsac et du marquis de Morigny ; c'était le vieil esprit militaire, dont le général de Bozonnet menait les funérailles ; c'était la magistrature asservie au pouvoir, un Amadieu faisant sa carrière à coup de procès retentissants, un Lehmann rédigeant son réquisitoire dans le cabinet du ministre, dont il défendait la
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