Emile Zola
politique ; c'était enfin la presse, cupide et mensongère, vivant du scandale, l'éternel flot de délations et d'immondices que roulait Sanier, la gaie impudence de Massot, sans scrupule, sans conscience, qui attaquait tout, défendait tout, par métier et sur commande.
Et, de même que des insectes, qui en rencontrent un autre, la patte cassée, mourant, l'achèvent et s'en nourrissent, de même tout ce pullulement d'appétits, d'intérêts, de passions, s'étaient jetés sur un misérable fou, tombé par terre, ce triste Salvat, dont le crime imbécile les avait tous rassemblés, heurtés, dans leur empressement glouton à tirer parti de sa maigre carcasse de meurt-de-faim. Et tout cela bouillait dans la cuve colossale de Paris, les désirs, les violences, les volontés déchaînées, le mélange innommable des ferments les plus acres d'où sortirait, à grands flots purs, le vin de l'avenir.
Tout cela est assez confus. On ne distingue pas nettement la mixture qui cuit dans la cuve. Malgré des adaptations d'actualité, des allusions à des personnalités et à des événements très réels, et l'on pourrait dire très parisiens, comme l'escroquerie du Panama et les explosions dues à Ravachol, on ne perçoit pas franchement Paris, ce formidable et complexe Paris, qui donne son titre au volume. Dans toutes les capitales de l'Europe et du Nouveau-Monde, il y a des spéculateurs avides et sans scrupules, des politiciens méprisables et audacieux, des adultères, des scandales mondains, des journalistes à vendre et des journaux versatiles, et enfin il s'y dresse aussi des anarchistes usant des explosifs. Il n'y a rien, dans ce tableau de la surexcitation des vices, des appétits, des passions, qui ne puisse s'appliquer à Londres, à Berlin, à New-York, à Melbourne.
Les amours d'un curé défroqué avec la fiancée de son frère, dont le sacrifice et la générosité sont peut-être bien surhumains, en tout cas exceptionnels, car les accords étaient faits et la date du mariage presque fixée, et les tentatives du chimiste, que l'amour fraternel rend capable d'un dévouement aussi invraisemblable que celui du Jacques de George Sand, pour faire sauter le Sacré-coeur, aboutissant à l'expérience d'un moteur industriel, c'est la substance, c'est la moëlle du roman. On ne saurait admettre cette substitution de fiancée et ce changement dans l'utilisation des explosifs, comme caractérisant, résumant et expliquant Paris.
Malgré quelques belles échappées panoramiques, observées du haut de la place du Tertre, sur la Butte Montmartre, et rappelant le spectacle des ciels de Paris vu des hauteurs de Passy, dans Une Page d'Amour, la description décorative et plastique, où d'ordinaire excelle Zola, semble négligée et plus faible dans ce livre. Il est d'une facture moins sûre, d'un relief moins accusé, d'un intérêt secondaire aussi, et comme s'il était écrasé par son titre, par la masse même du sujet, il s'affaisse en maint passage. Zola a voulu faire grand, il n'est parvenu qu'à faire gros.
C'est un bloc incomplètement travaillé. L'art, si éclatant dans la plupart des oeuvres précédentes, n'est pas suffisamment intervenu. Le praticien a dégrossi, mais le sculpteur a fait défaut.
Ce livre, cependant, offre un intérêt particulier : il témoigne d'une évolution dans la conscience de l'auteur, et il est, par moments, un document autopsychologique. C'est le seul ouvrage où Zola, renonçant, pour certains chapitres du moins, à ses notes, à ses extraits, aux renseignements obtenus par correspondance, ou tirés de minutieux interrogatoires et de patientes auditions, s'est documenté d'après lui-même.
Il a quitté la méthode objective, abandonné le métier du peintre ou du photographe se campant en face du modèle, pour recourir à l'analyse subjective. C'est dans ce Paris qu'il a mis le plus de son moi. Il a dépeint ses propres sensations dans les émois passionnés de son abbé Froment. À l'époque où il écrivait Paris, Zola était amoureux. Lui, le chaste laborieux, le forgeur de phrases courbé sur la tâche matinale et ne laissant pas un seul jour le fer se refroidir ni l'enclume se taire, s'était pris au piège de la femme. Sa liaison, annoncée, pardonnée, peut être rappelée sans scandale ni injure. La digne et maternelle épouse du grand écrivain, l'héritière de sa pensée et la légataire de son âme, a recueilli, élevé, aimé les deux enfants de Mme Rozerot. À la
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