Emile Zola
s'atténuèrent, sans disparaître complètement. Les lectures scientifiques et l'observation de la vie firent, cependant, succéder assez rapidement leur influence aux préoccupations poétiques, et à l'opinion toute faite, non démontrée ni étudiée, puisée dans ses livres et ses relations d'alors, sur l'existence d'une divinité mêlée aux choses de la terre, d'une providence vigilante, et d'une âme pourvue d'une existence inexplicable, en dehors du corps, des organes de la vie même.
La foi artificielle et le travail poétique des années de jeunesse n'eurent point, par la suite, grande importance pour Zola. Ces lyriques divagations ne laissèrent nulle mysticité dans son esprit ; elles ne déposèrent point un résidu tenace de tendances religiosâtres dans sa conscience. Elles ne contribuèrent en rien à sa fortune littéraire, à son succès.
Le poète, resté longtemps ignoré, n'existe pour ainsi dire pas pour le public. Une large trace de ce labeur des années d'apprentissage se retrouve, pourtant, comme un germe englouti, dans les oeuvres de la maturité. De grands sillons poétiques s'allongent dans son magnifique champ de prose, et surgissent tout à coup à fleur d'oeuvre réaliste.
S'il n'avait connu les exaltations de Rodolpho, de l'Aérienne, de Paolo, s'il n'avait pas cherché à rendre, dans la langue mesurée des aspirations idéales, ses enthousiasmes, ses rêveries de l'âge printanier, s'il ne s'était pas livré à l'exercice difficile, mais profitable, de la versification, peut-être n'aurions-nous pas à admirer dans ses pages les plus parfaites, la description du Paradou le délicieux épisode de Silvère et de Miette, les ciels de Paris, l'architecture des Halles, et tant d'autres superbes et poétiques morceaux, vraiment poétiques, qui ont contribué à l'éclat, au coloris et aussi à la vogue méritée de ses principaux livres.
Non ! Zola ne fut pas, comme tant d'autres, un poète mort jeune. Il fut un poète transformé, un poète dont les strophes étaient, par lui-même, traduites en prose magnifique, un poète qui ne rimait pas, et n'allait pas à la ligne toutes les douze syllabes, un grand poète tout de même ! Pour achever le résumé des opinions, des sentiments, des désirs de Zola, à cette époque de formation et de préparation, il est bon de noter ce qu'il pensait alors de l'amour, de la femme, et aussi de la politique, et de diverses questions sociales à l'ordre du jour.
Nous aurons ainsi le tableau de tout l'intellect et de toute la conscience du Zola première manière, du Zola d'avant la gloire, on peut presque dire d'avant le talent, car, physiquement et intellectuellement, ce futur grand homme a grandi tard. Le jeune littérateur fera mieux comprendre l'écrivain mûr, le poète expliquera le romancier. Le récit détaillé et minutieux des années de début, avec leur misère et leur obscurité, permettra de bien voir, dans toute sa rayonnante destinée, ce petit méridional parvenu à la célébrité parisienne, puis mondiale. On suivra, dans son ascension, ce poète manqué prenant sa place parmi ces hommes à part, parmi ces phares, comme disait Baudelaire, ces héros, comme les classifiait Emerson, qui, agissant, sur leurs contemporains d'abord, sur les générations par la suite, constituent la réelle, la toujours vivante humanité, car la poussière des morts inglorieux ne compte pas.
II - AU QUARTIER LATIN.-LA MAISON HACHETTE.-CONTES À NINON.-LES JOURNAUX. -CRITIQUE D'ART.-THÉRÈSE RAQUIN. (1862-1867)
Que pensait de l'amour et de la femme le jeune Zola ? Cette question a été suivie d'une, de plusieurs réponses, fournies par le sujet lui-même.
«À notre âge, dit-il, avec une sagesse précoce et une philosophie intuitive, ou peut-être apprise, retenue et répétée, ce n'est pas la femme que l'on aime, c'est l'amour.» Notre juvénile observateur n'est ici qu'un écho. Sa conscience se fait miroir. Il reproduit ce qu'il a vu dans les livres. Il redit ce qu'il a entendu. A-t-il expérimenté l'ardeur exaspérante de la poursuite, et constaté la lassitude, le but atteint ? C'est douteux. Cette désillusion fatale est d'une trop grande exactitude pour avoir été ressentie et contrôlée. «La première femme qui nous sourit, disait-il alors, c'est elle que nous voulons posséder ; nous déclarons que nous allons mourir pour elle ; si elle nous cède, nous perdons bien vite nos belles illusions.» Trop sage, trop clairvoyant,
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