Emile Zola
«travaillent» l'auteur de Hard Times (les Temps difficiles) et celui de Germinal. Tous deux ont une loupe dans l'oeil. Ils voient les détails avec une précision et un grossissement énormes.
Ils les rendent tels. Rien ne saurait échapper à leur minutieux inventaire. À la lueur d'un éclair, dans une tempête, l'un et l'autre surprennent toutes les particularités d'un paysage vaste, et les décrivent sans omettre un arbre renversé, une charrue abandonnée dans un champ, un cheval qui se cabre, au loin, sur la route détrempée, ni la pointe d'un clocher se dressant au fond de la campagne, au-dessus de laquelle courent de gros et lourds nuages noirs, comptés et signalés au passage. En même temps, le romancier anglais et son confrère français ont l'irrésistible tentation d'associer les éléments, les choses inanimées, les objets matériels aux passions, aux sentiments et aux actes impulsifs, ou délibérés, des personnages de leurs histoires. Pour une jeune fille, dont le coeur s'ouvre à l'amour, et qui traverse les cours moroses de Lincoln Inn's Field, où la chicane tend ses toiles, Dickens ensoleille ces ruelles de suie et de boue ; il bat la mesure à tout un orchestre ailé de moineaux gazouilleurs ; sur son passage, il multiplie la joie, la clarté, la vie. Zola aussi ne manque jamais d'harmoniser le décor avec les situations et l'état d'âme de ses personnages. Il réassortit les nuances du ciel avec les sentiments de ses élus de l'amour ou de ses damnés du travail. On en pourrait citer vingt exemples, pris au hasard, dans tous les romans de Zola. On trouvera des citations plus loin, dans l'examen détaillé de ses principaux ouvrages.
On a prétendu que le mouvement naturaliste, absorbé par Zola, identifié en lui seul, aux yeux du public, était dû à Champfleury, dont il n'aurait fait que suivre les traces et continuer l'oeuvre. On a nommé aussi Duranty le fondateur du Réalisme.
Vainement chercherait-on la moindre preuve de la filiation dénoncée. Zola n'a rien, mais rien du tout, de Champfleury, et la ressemblance n'existe que dans les prunelles de ceux qui veulent absolument la voir.
Il a cité ce romancier, qui fut oublié de son vivant, et que j'ai connu préoccupé uniquement de céramique, bon fonctionnaire d'ailleurs, dirigeant habilement la manufacture de Sèvres, en 1883, mais la mention est fort sommaire :
Il y aurait toute une étude, écrivait-il dans les Romanciers Contemporains, sur le mouvement réaliste que M. Champfleury détermina vers 1848. C'était une première protestation contre le romantisme qui triomphait alors. Le malheur fut que, malgré son talent très réel, M. Champfleury n'avait pas les reins assez solides pour mener la campagne jusqu'au bout. En outre, il s'était cantonné dans un monde trop restreint. Par réaction contre les héros romantiques, il s'enfermait obstinément dans la classe bourgeoise, il n'admettait que les peintures de la vie quotidienne, l'étude patiente des humbles de ce monde. Cela était excellent, je le répète ; seulement cela restreignait la formule, et l'on devait étouffer bientôt dans cet étranglement de l'horizon...
Certaines oeuvres de M. Champfleury sont exquises de naïveté et de sentiment. Il a droit à une place à part, au-dessous de Balzac. C'est un des romanciers les plus personnels de ces trente dernières années, malgré son horizon borné et les incorrections de son style...
Pour Duranty, c'est différent : Zola l'a bien connu, beaucoup lu, presque admiré, lui qui avait plutôt l'admiration rebelle.
Cet Edmond Duranty, complètement oublié présentement, n'eut jamais qu'une notoriété de cénacle, dans le goût de celle d'Hippolyte Babou, célèbre par une odelette funambulesqne de Théodore de Banville, et dont Zola s'égayait ainsi :
Un type amusant, le critique qui a une réputation énorme dans les coulisses littéraires, disait-il, et qui ne laisse tomber que trois ou quatre pages, chaque année, comme il laisserait tomber des perles...
Le public l'ignore absolument. Cela n'empêche pas qu'il soit une illustration...
Duranty, pour Zola, était une autorité. Il avait conservé une déférence à son égard, qui remontait au temps où, commis-libraire, il empaquetait des bouquins sur les comptoirs de la maison Hachette. Ce fut le premier homme de lettres avec qui il échangea des saluts, puis des idées. On peut dire que Duranty fit partie du groupe initial des
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