En ce sang versé
peut-être même imprudent.
— Je…
— Hésitez-vous ? l’interrompit Tisans, soudain tranchant, presque menaçant.
— Que nenni, du moins pas en ce qui concerne la damoiselle Henriette et les Clairets. Cherchant ses mots afin qu’une subite curiosité n’alerte pas son interlocuteur, Hardouin avança avec prudence : Nogent… S’il m’en souvient bien, vous fîtes porter une missive à la famille d’alliance de madame de Salvin qui y demeure.
Le sous-bailli parut un peu surpris par le tour que prenait la conversation. D’une voix assez indifférente tant le décès de sa fille lui obscurcissait l’esprit, il répondit :
— À la jeune baronne veuve Mahaut de Vigonrin, d’autant que sa mère d’alliance, Béatrice, est de mes vagues connaissances. Le moins que je pus faire. Elle m’en fut d’ailleurs gré, tant la fin… horrible, injuste et ignominieuse de cette pauvre jeune femme l’avait atterrée.
Le cœur d’Hardouin s’était emballé à la mention de ce nom déjà prononcé par l’aubergiste de la Hase Guindée. Il s’efforça de demander d’une voix plate :
— Le lien entre la baronne Mahaut de Vigonrin et Marie de Salvin, si je puis ?
— Mais elles sont sœurs germaines 19 .
Cadet-Venelle dissimula avec peine sa stupéfaction pendant que Tisans poursuivait :
— Des Leu 20 de Cérainville, très belle famille, généreuse, protectrice des arts. Originaire de Troyes, ils ont grandement contribué à la construction de l’abbaye d’augustins Saint-Loup 21 , le saint évêque de la ville 22 étant de leur lointaine parentèle et expliquant leur nom. D’ailleurs, madame Constance de Gausbert est leur tante à toutes deux, elle-même cousine éloignée de notre cher saint-père, Clément V*. Une famille fort respectée. Je crois me souvenir, sans certitude, que madame Mahaut, la baronne donc, est la cadette de madame Marie de Salvin, de quelques courtes années.
À l’évidence, le sous-bailli ignorait tout de l’arrestation pour enherbement de Mahaut de Vigonrin, née Leu de Cérainville.
Une sorte de vertige fit fermer les paupières à Hardouin. Le destin. Encore et toujours le destin auquel il avait confié sa vie sans interrogations, sans curiosité, sans espoirs particuliers, sans même d’appréhensions. Le destin ou alors la main fraîche et apaisante de Marie, celle qui s’était posée sur son front brûlant lors d’une épouvantable nuit de fièvre, le guidant vers une destination qu’il ignorait ?
Sa route occulte, dont il priait qu’elle fût tracée par une femme morte, adorée, reprenait aux Clairets.
Il se leva, déclarant :
— Je dois rentrer, donner des ordres et vous attendrai au demain non loin de ma demeure, au jour levant. À vous revoir très vite, messire bailli.
1 - Sorte de veste longue arrivant aux cuisses.
2 - De la même famille qu’« insolent », le terme désignait à l’époque un procédé, un événement ou une personne étrange dans un sens désagréable voire blâmable.
3 - Graisser la patte.
4 - A donné « belle lurette ».
5 - Étage.
6 - Ce qui est aujourd’hui le Maine-et-Loire, une provenance d’ardoises très appréciée.
7 - Première pièce, en général de petite superficie, donnant sur l’extérieur.
8 - Il était de coutume de nommer les aubergistes d’après leur enseigne.
9 - Femelle du lapin de garenne ou du lièvre.
10 - Situé.
11 - Arthrose.
12 - À l’origine, abréviation de « en cas de besoin ». Se déclinait en en-cas de bouche, en-cas de voyage, en-cas de nuit, etc.
13 - Le terme fut donné aux fleurs par saint Fiacre, noble d’origine irlandaise, qui partit pour la Gaule au début du VII e siècle. Les fleurs n’étaient cultivées à l’époque que pour honorer la Vierge et fleurir les autels.
14 - On l’écrivait « ypocras » à l’époque. Vin rouge, parfois mélangé à du vin blanc, sucré de miel et parfumé à la cannelle et au gingembre. Il existait également une version entièrement au vin blanc.
15 - Contraction jugée acceptable de « par la mort de Dieu », blasphématoire. « Dieu » fut remplacé par « bleu » dans de nombreux jurons.
16 - Personnes contraintes par la loi de donner de l’argent afin de racheter leurs fautes.
17 - Cheval, le plus souvent une jument, très docile que montaient les femmes et que l’on dressait parfois à marcher à l’amble.
18 - De cura : avoir soin ou souci, se
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