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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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notamment celles qu’on lui insufflait afin de le maintenir dans cet état d’abrutissement si propice à l’obéissance aveugle. Mais la Science balbutiait, se complaisait dans d’ineptes superstitions, encouragée en cela puisqu’elle ne remettait en question aucun dogme, aucune autorité. Au fond, les médecins et mires n’étaient guère plus savants que les bailleuls 8 de campagne, qui eux, du moins, connaissaient empiriquement l’anatomie. Fauvel désespérait parfois : les barbiers et les bourreaux, pourtant méprisés, soulageaient bien plus qu’eux.
    Ils ôtèrent la coiffe. Henriette avait été rasée moins de deux ou trois semaines auparavant, comme en témoignait le duvet brun de repousse qui couvrait son crâne d’un blanc ivoire. Une ecchymose, en grande partie cachée par le bord de sa coiffe, s’étalait sur sa tempe gauche. Jehan Fauvel la palpa, déclarant comme pour lui-même :
    — Récente. Enflée. Sans doute le résultat d’un coup, ou alors une chute. Voyez la couleur de l’extravasion sanguine : rouge, n’ayant pas encore viré au violet ou au bleu-noir. A-t-on cherché à l’étourdir ou s’agit-il d’un accident survenu peu avant son décès ? Poursuivons.
    Ils tirèrent le scapulaire sombre et la robe de burel blanc cassé. Henriette de Tisans portait dessous une haire 9 . Méchaud ne remarqua pas le pincement de lèvres de Fauvel. Cette appétence pour les mortifications l’étonnait toujours. Quoi, parce qu’elle s’affublait d’une chemise rugueuse en poil de chèvre, elle avait l’impression de rejoindre l’ultime sacrifice du Divin Agneau, de partager Son supplice ? Le choc sourd du crâne d’Henriette contre le bois de la longue table le ramena à la réalité.
    Elle était mince, étonnamment musclée pour une femme, même une moniale appliquant l’obligation de travail physique de sa règle avec grand sérieux. Jehan Fauvel se pencha vers le cadavre.
    Observe, analyse, compare et déduis, se serina-t-il. La méthode qu’il avait inculquée à sa fille Héluise dont il taisait à tous les extraordinaires capacités d’esprit. Il lui avait moult fois répété qu’elle devait se toujours appliquer à faire étalage d’une parfaite éducation de fille : la prière, la tenue d’une maison et un petit talent pour la musique, le chant et la broderie. L’éducation des filles aux sciences de l’esprit était devenue suspecte. Là encore, quel meilleur moyen que l’ignorance pour les tenir dans leur condition ? Seules quelques femmes très bien nées et riches échappaient à cette règle. Mais après tout, les règles n’étaient pas dictées pour que les puissants les respectent s’ils souhaitaient les contourner.
    De nombreuses pétéchies, d’un diamètre plus important que celles de la région périorbitaire 10 , semaient le cou d’Henriette de Tisans. Un profond sillon, peu large, aux berges rouges semées d’abrasions, au centre blanchâtre, entourait horizontalement la gorge, assez bas.
    — Nous pouvons donc exclure une pendaison de suicide qu’on aurait tenté, par décence, de faire passer pour un meurtre, marmonna Jehan Fauvel.
    — Une pendaison… de moniale… un suicide ? s’offusqua Méchaud.
    — Pourquoi pas ? rétorqua Jehan Fauvel d’un ton sec mais affable.
    — Outre l’implication effarante dans le cas d’une servante de notre Seigneur, on ne se suicide que par désespoir – or, Henriette de Tisans nous fut présentée telle une femme portée par sa grande foi – et je doute que madame de Gausbert se rendrait complice d’une si ignominieuse dissimulation.
    — Madame de Gausbert a, elle aussi, des comptes à rendre. Au saint-père. Un suicide dans un monastère… je ne peux imaginer pire scandale, pas même une clandestine grossesse de religieuse. De surcroît, l’abbesse ne serait pas nécessairement informée de la fourberie.
    — En effet.
    — Mon bon ami, ne me dites pas que votre fréquentation de l’art médical vous a jusque-là épargné d’ahurissantes constatations sur l’âme humaine. Une admirable mère dont vous soupçonnez soudain qu’elle a étouffé ses enfants. Un dévot respecté qui a occis la jeune servante qu’il troussait depuis des années parce qu’elle était grosse. Un mari prétendument aimant mais fort impatient de récupérer les biens de son épouse. Je vous en conjure, laissons nos sentiments et nos certitudes en l’ouvroir et procédons à la manière

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