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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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bridant Albière et
l’arrêtant, il se tint des deux mains au pommeau de sa selle, et penché en
avant, rit sans cause aucune, à ventre déboutonné. Ce que voyant, et trouvant
le spectacle fort plaisant de mon sage mentor en état si peu sage, je ris à mon
tour sans mesure et sans fin.
     
    *
    * *
     
    Le 11 octobre, le Chancelier Saporta
me fit mander par le bedeau Figairasse d’avoir à verser les trois livres
tournois de mon inscription, ajoutant toutefois que je ne devrais me tenir pour
inscrit avant que d’avoir reçu le billet ad hoc du Docteur d’Assas. Et
donc que je ne pourrais, avant d’avoir en main ce billet, le prier par écrit d’être mon père.
    Mais le 16 – deux jours avant
la Saint-Luc qui devait voir la rentrée de l’École – n’ayant rien ouï
encore du Docteur d’Assas, et attribuant comme cause à ce silence ses remises
et procrastinations, je décidai de seller Accla et de l’aller voir derechef à
Frontignan, n’étant point, par ailleurs, sans appétit pour la bénignité et
l’esprit du professeur royal, pour son vin et ses tartelettes, et pourquoi ne
pas le dire aussi, pour les belles prunelles vertes de Zara, prunelles dont
elle usait à l’entour pour la grande perdition des droles. Et même si non
licet tocare [62] était écrit en lettres d’or sur son joli front, et que ce ne fût là qu’un
rêve, qui n’aimerait se perdre dans ce beau rêve-là ? Comme disait à
Mespech notre carrier Jonas, quand, chaste en sa grotte, il se plaignait d’être
privé de la vue de la Sarrazine : « Un renard prend du plaisir à voir
passer une poule, même s’il ne peut pas l’attraper. »
    Bref, j’eus tout le plaisir de la
vue en revoyant l’accorte chambrière, et aussi de la langue et du palais, et
écoutant le Docteur d’Assas en ses fines disquisitions, ceux de l’ouïe et de
l’esprit – et pour finir, j’eus enfin mon billet d’inscription
qu’incontinent il écrivit et qui était fort curieusement rédigé en ces
termes :
    Descriptus fuit in albo
studiosorum medicinae Petrus Sioracus, per manus, anno Domini 1566 die vero 16
octobris ; cujus pater est Venerandus Doctor Saporta, nostrae scholae
Cancellarius, qui ejusdem jura persolvit.
    Datum Monspessuli ut supra. Doctor
Dassassius [63] .
    Je dis que ces termes me parurent
curieux car il était dit dans le billet que le Docteur Saporta était mon père,
alors que ledit billet m’était nécessaire pour lui demander de l’être. J’osai
en faire la remarque au Docteur d’Assas, mais il répondit avec un vif
brillement de son œil futé qu’une contradiction ou une absurdité ne gênait en
aucune guise le Docteur Saporta, pour peu qu’elle fût couchée par écrit. Et en prononçant ces derniers mots il fit une imitation de la voix et du ton du
Chancelier qui nous fit rire tous deux à gueule bec.
    L’École de médecine en Montpellier
était sise rue du Bout-du-Monde (appellation qui n’a cessé de m’émerveiller) et
mis à part le théâtre anatomique que Rondelet avait fondé, elle tenait tout
entière en deux salles, l’une des cours et l’autre dite de promotion, dans
laquelle se soutenaient les examinations et se tenaient les assemblées, mais où
d’aucuns enseignements, faute de place, se faisaient aussi. Accolée à ces deux
salles se dressait une grosse tour dont la grave cloche, que bringuebalait le
bedeau Figairasse, annonçait le début et la fin des lectures  –
J’emploie ici le mot propre, car nos régents, qu’ils fussent professeurs royaux
ou docteurs ordinaires, ne faisaient autre chose que de lire les auteurs
anciens, en accompagnant cette lecture de leurs commentaires, ceux-ci variant
fort de l’un à l’autre, et en quantité, et en qualité.
    Attenant à ces deux salles
s’étendait un jardin clos, petit assez, mais très précieux, car depuis
Rondelet – grand observateur et amant des choses de la nature et à qui
nous devons sur les Poissons un fort émerveillable livre – on y
ménageait une grande variété de plantes médicinales. Nous y avons tous labouré
à tour de rôle, et plus qu’aucun autre, mon bien-aimé Samson, encore qu’il ne
fût pas écolier en notre école, mais compagnon apothicaire admis à suivre
certains de nos cours.
    Mais j’anticipe : grand jour
pour Luc, Samson et moi que ce matin de la Saint-Luc où, au tintinement répété
de la cloche, s’ouvrit l’École de médecine par une assemblée plénière des
régents et des

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