En Nos Vertes Années
Grands Jours de Béziers a fixé le nombre à quatre. Par
souci d’épargner nos pécunes, nous reviendrons à ce chiffre.
Il y eut alors, de nouveau, un fort
vif remuement parmi les écoliers et tant est pourtant qu’il était plus justifié
que le précédent, personne n’osa s’élever contre cette funeste économie, et pas
même Merdanson, encore tout navré et saignant de sa défaite. Je ne sais quel
démon alors me poussa, mais j’entrepris bien follement de relever son courage.
— Monsieur, dis-je à voix basse
en lui touchant légèrement l’épaule, c’est maintenant qu’il faudrait vous
battre !
Merdanson se retourna comme si aspic
l’avait piqué et, sourcillant, m’envisagea de ses yeux verts avec un
déprisement infini.
— Petit étron, dit-il, as-tu
bien osé toquer l’épaule de ton ancien ?
— Monsieur, dis-je fort dépit
de ce ton, à petit étron, étron et demi : vous êtes plus gros que moi.
Merdanson n’en crut pas ses
oreilles.
— Compains, dit-il à ses
acolytes, avez-vous ouï ce novice ? Ce fol ? Cet outrecuidant ?
L’Assemblée finie, nous le fouetterons comme seigle vert pour lui faire sortir
sa folie du corps.
— Monsieur, dis-je la voix
tremblante de rage mais cependant parlant bas, j’ai cassé les caïmans des
Corbières. Je vous casserai bien aussi.
— Fi de ce gentilhâtre !
dit Merdanson. S’il parle de casser, c’est le cul que nous lui casserons. Et
bren ! Et bren !
— Silence ! s’écria
Saporta en jouant au maillet, sur quoi la verge de Figairasse siffla, et le
tumulte mourut.
— Qui désire parler ? dit
le Chancelier, et personne n’osant l’affronter derechef, il reprit, du même ton
de princière condescendance :
— Monsieur le Doyen,
poursuivez.
— Je poursuis, dit le Doyen
Bazin qui grinçait des dents à se voir adressé de si haut. En dernier lieu,
Messieurs les Écoliers, je vais vous lire l’ordo lecturarum [65] de cette année.
— Mais avant que d’aller plus
outre, dit Saporta en coupant le Doyen sans vergogne aucune et sur un ton de
hauteur ineffable, mon fils Siorac, qui a une belle écriture, va venir sur
l’estrade écrire sous votre dictée l’ordo lecturarum dans le livre de
l’École.
Je me levai.
— Son fils ! Ventre
Saint-Vit ! dit Merdanson à mi-voix. Mes bons enfants ! Nous n’aurons
que plus de plaisir, en pensant au père, à fesser le fils.
— Monsieur, dis-je sur le même
ton avant que de quitter ma place, si longues que soient vos oreilles, votre
langue est plus longue encore, et longue assez pour tondre un pré.
Quoi dit, je gagnai l’estrade où de
la main le Chancelier me désigna une escabelle en bout de table où je m’assis.
Le Docteur d’Assas, avec un délectable sourire, me fit passer le livre de
l’École et m’accommoda de son écritoire. On peut bien imaginer qu’en dépit de
ma querelle avec Merdanson et de l’appréhension qu’elle me donnait (car ses
épaules et son cou annonçaient beaucoup de force) je me paonnais assez en ce
haut lieu et en cette savante compagnie.
— Voici l’ordo lecturarum, dit le Doyen Bazin et, à l’œil venimeux qu’il me jeta, quoiqu’il me vît ce jour
pour la première fois, je compris qu’étant le fils de Saporta, je n’aurais
point à attendre de lui au bout de l’année une excessive tendresse en mes
examinations.
— À tout seigneur tout honneur,
dit le Doyen Bazin et, ôtant son bonnet carré, houppé de soie cramoisie, il dit
non sans un certain air de pompe :
— Premièrement,
Hippocrate : les Aphorismes…
Au nom du maître vénéré de la
médecine grecque, les professeurs royaux et les docteurs ordinaires se
découvrirent à leur tour, et ne remirent leurs bonnets carrés que lorsque le
Doyen, poursuivant son énumération, passa au livre suivant :
— Deuxièmement, Galien :
Libri Morborum et symptomatum [66] .
Étrange, pensais-je en écrivant ce
nom (« Galien » avec un seul l, me souffla d’Assas. Gallien avec deux
l, c’est un empereur romain), étrange qu’on tire céans son bonnet à Hippocrate
et non pas à Galien. Serait-ce que tous deux étant grecs, le premier a vécu
vers l’an 400 avant Jésus-Christ et le second deux siècles plus tard, et donc
trop récent pour mériter égal respect ?
— Troisièmement et
quatrièmement, poursuivit Bazin, nous passons à la médecine arabe, fidèles en
cela à la tradition vénérée de notre école :
Avicenne : Le canon
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