En Nos Vertes Années
donc incontinent dormir : tu seras plus
fraîche demain.
— Ha non, mon Pierre ! Ha
non ! dit-elle, ses bras potelés passés autour de mon col et se serrant
contre moi avec une émerveillable vigueur. Qu’au moins j’aie un peu de toi
avant de m’aller coucher !
Et là-dessus, ne pouvant résister
longtemps à tant gracieuse et tendre fille (car ses armes, bien que douces,
étaient bien plus fortes que pistoles ou arquebuses), je me mis à la mignonner,
et de caresse en caresse glissant par pente insensible, elle eut ce qu’elle
voulait (et que je voulais aussi) quelque grimace que cela me tirât à la fin
quand, à nouveau, je sentis les meurtrissures de mon dos.
Lecteur, je ne sais si je ne vais
pas, en me relisant, déchirer cette page. Car Dieu sait pourquoi je l’ai écrite
en termes si légers et profanes, moi qui avais juré pourtant de ne plus rien
dire de ma pauvre Fontanette tant le pensement que j’ai d’elle et de sa funeste
et piteuse fortune me navre le cœur : épine que je ne pourrai m’ôter, même
à ce jour, sans me déchirer.
Mon Samson était dans les délices,
et en même temps fort traversé, car les cours de l’École de médecine avaient
commencé, il les devait suivre en partie au moins, et jusqu’à cinq
heures – heure qui le voyait courir à folles enjambées jusqu’à
l’Aiguillerie, portant encore ses livres, son écritoire et sa chandelle –
celle-ci pour ce que nous commencions à ouïr les lectures avant la pique du
jour. À dix heures j’allais rechercher mon bien-aimé Samson, Miroul à ma
dextre, parcourant les rues désertes de Montpellier, l’épée à la main et les
pistolets à la ceinture. Et bien nous en prit, car un soir – c’était un
jeudi si bien je me ramentevois – on trouva l’Aiguillerie assiégée par
cinq ou six gueux, lesquels, grimpés sur des chanlattes, tâchaient de forcer
les contrevents du premier étage, sans que le tapage qu’ils faisaient ni les
cris de la Thomassine n’amenassent les voisins à ouvrir leurs fenêtres, tant
couards ils étaient. La lune était claire, je tirai un de ces gueux comme
pigeon et Miroul en tira deux et le reste s’en sauva. Au bruit de ces
détonations, Cossolat, suivi de ses archers, accourut l’épée au poing, fort
courroucé qu’on eût osé en sa ville s’en prendre à la Thomassine pour qui il
avait un faible, tout austère huguenot qu’il fût. Mais il en avait un aussi
pour l’alberguière des Trois-Rois, et je ne sais si le compte s’en
arrêtait là, cette sorte d’homme n’étant pas aisée à rassasier.
On apporta des chandelles dans la
salle de l’Aiguillerie. La Thomassine, en ses émois, et dans son négligé était
fort belle à envisager, le tétin haletant et à demi dehors, et plus belle
encore, à ce qui me sembla (sot que j’étais peut-être), Dame Gertrude du Luc
qui, en sa confusion et vergogne, avait pris le temps de se boutonner jusqu’au
col. Cossolat, assis en face d’elle, l’espinchait d’une guise à me rendre
jaloux, si j’avais eu le droit de l’être. Quant à Samson, buvant le vin qu’en
la salle de sa maîtresse l’Azaïs nous versait pour nous remettre, il
répétait : « Qu’est cela ? Qu’est cela ? », fort dépit
qu’on eût effrayé sa dame. Et certes, il eût été de taille à défaire à lui seul
ces truands, s’il avait eu des armes, mais il n’en pouvait détenir, étant venu
tout droit de l’École de médecine, où leur port était interdit.
— Capitaine, dit la Thomassine,
le tétin haletant, à quoi servent vos archers, s’ils ne savent protéger les
honnêtes gens de Montpellier ? Sans Pierre de Siorac, nous y passions
tous !
— Ha, ma bonne
Thomassine ! dit Cossolat, grande est la ville et mes archers n’y
sauraient être partout à la fois. En outre, le mauvais garçon y grouille comme
rat en cave, et pires que les écuries d’Augias sont les bouges et
tavernes : un fleuve y passerait sans nettoyer la vermine qui les habite.
Je te l’ai dit déjà cent fois. Une garce qui vit seule et que l’on croit riche
attire le coupe-bourse comme l’aimant la limaille. Prends un gardien et
arme-le.
— Mais qui ? dit la
Thomassine, combien que je connais qui ont été larronnés et, au surplus, occis
par leur propre gardien !
— Thomassine, dis-je, si tu
veux de mon conseil, prends Espoumel quand il aura la grâce du Roi et sera
sorti de sa geôle.
— Doux Jésus ! dit Azaïs.
Un caïman
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