En Nos Vertes Années
de Joyeuse est une femme si bonne, si charmante et que tant j’aime, que quoi
qu’elle puisse me demander je suis prêt à le faire, et jusqu’à décrocher la
lune avec mes dents. Quant à son âge, il ne fait rien à l’affaire.
— Ha, je le vois assez !
dit-elle non sans aigreur et une larme au bord des cils, vous êtes une nouvelle
guise de martyr : le martyr heureux.
Et moi, l’envisageant et sentant le
navrement sous la picanierie, j’entrepris de verser quelque baume sur cette
plaie.
— Je suis, dis-je, avec M me de Joyeuse un martyr heureux, et avec vous, Aglaé, un martyr malheureux,
puisque faute de cinquante mille livres, je ne puis prétendre vous épouser.
Ha ! le mot
« épouser », quel mot magique sur les filles ! À peine
l’eussé-je prononcé que tout soudain la joie revint étinceler dans les yeux
d’Aglaé.
— Y pensez-vous vraiment ?
dit-elle, ses délectables fossettes se creusant dans un sourire.
— Oui-da ! dis-je, par ces
fossettes que voilà ! (ne voulant faire d’autre serment) et ce disant
coupant court, je les baisotai l’une après l’autre, mais quand j’en vins à la
senestre, Aglaé faisant par aventure mouvement en sens inverse, je me trouvai
lui baiser les lèvres, baiser dont elle ne se déprit pas aussitôt.
— Ho, l’impertinent !
dit-elle enfin, en faisant la honteuse (mais en l’étant aussi, je gage, car en
son for elle était fort naïve). Monstre, ensauvez-vous.
Sur le perron qui descendait dans la
cour de l’hôtel, je croisai M. de Joyeuse, qui dès qu’il me vit, devançant ses
officiers, vint à moi, me donna une forte brassée et me dit à l’oreille :
— Ha, Monsieur de Siorac !
ou plutôt, mon petit cousin ! (ceci avec un sourire) comme je vous sais
gré de divertir M me de Joyeuse ! Il faut que vous ayez un
charme pour apaiser les épouses querelleuses. Depuis que vous venez céans, je ne
trouve plus rebèquement ni picanierie mais sourire et pliante humeur.
Je rendis à M. de Joyeuse ses
civilités, mais ne sachant trop que dire, et ma conscience me poignant quelque
peu quant au « charme » dont il avait parlé. Cependant, il me vint à
l’entendement que je n’avais pas à faire tant le scrupuleux, puisque tout le
monde était content. Ha, pensai-je, en quittant l’hôtel – fort chatoyant
en mon pourpoint bleu – Ventre Saint-Antoine ! je suis fort bien vu
céans ! Et ce disant, aveugles que nous sommes toujours quant à l’avenir
qui nous attend, je ne pouvais savoir à quel point, bientôt, par ma faute, et
en périlleuse posture, j’allais avoir besoin de ces appuis.
Cependant, heureux avec la
Thomassine, heureux d’une certaine guise avec M me de Joyeuse, je ne
laissais pas de penser encore à ma pauvre Fontanette bien que des mois se
fussent écoulés déjà depuis que je l’avais perdue. Et encore que je labourasse
fort à l’École de médecine, à ouïr les lectures, à prendre des notes, à les
colliger ensuite, et le soir, à relire dans le texte les auteurs qu’on nous
avait le jour commentés, et que je fusse en mes loisirs fort occupé, M me de Joyeuse exigeant ma présence en ses mercredis, je ne laissais pas chaque
dimanche de seller mon Accla et de recommencer ma quête, village après village,
sur tous les chemins qui rayonnaient de Montpellier vers les campagnes
circonvoisines. Mais tout fut vain, je ne trouvai pas trace de la pauvrette et,
les mois passant, je cessai mes recherches et presque de penser à elle.
CHAPITRE X
Moi qui connaissais les rigueurs de
l’hiver sarladais où la neige n’est pas rare sur les pechs par les mois les
plus froids, je fus dans le ravissement de la douceur du climat de
Montpellier ; le soleil y brillait en janvier – qui est aussi le mois
des fêtes – presque chaque jour que Dieu faisait et à peine si les soirées
étaient fraîches assez pour qu’on allumât un feu dans les cheminées. On y
brûlait des rondins de chêne de garrigue, des branches de buis, des vieux ceps
de vigne, du romarin, et des racines de bruyère, ce qui faisait de très jolies
flammes, lesquelles ne montaient pas fort haut, mais étaient ravissantes à
voir, et embaumaient l’air de leurs essences. À celles-ci, et à leurs vertus
curatives, j’attribue le fait que de tout le temps de mon séjour en cette belle
ville, je n’attrapai pas un seul catarrhe, encore qu’ailleurs j’y sois sujet…
La gaieté des Montpelliérains qui
éclate quotidiennement
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