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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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rire malsonnant
mais avec une élégance et une grâce qui ne laissèrent pas de m’émerveiller.
    C’est aussi en cette période de
l’année que commencent les bals donnés le soir aux flambeaux par la noblesse ou
par les bourgeois étoffés de la ville. Mais à ce que je pus voir, ce sont mêmes
gens qui les hantent, car je ne manquais pas, étant gentilhomme, et de surcroît
« le petit cousin » de M me de Joyeuse, d’être invité
partout. Samson le fut aussi, étant mon frère et d’une si insigne beauté, mais
il déclina cet honneur, déclarant que c’était « là billes vezées, vaines,
frivoles et luxurieuses ». Dès le départ de sa Roumieuse, mon bien-aimé frère
avait en effet revêtu son austérité huguenote, comme un manteau qu’il n’eût
quitté que pour s’ébattre quelques instants sur une prairie semée de fleurs.
    Combien que je n’eusse encore jamais
dansé de ma vie, ayant été élevé comme on sait, je ne manquais pas un de ces
bals, et j’appris fort vite le branle, la gaillarde, et la volte, où je trouvais un double et délicieux plaisir ; et le mouvement
que je me donnais, et celui que j’envisageais chez les mignotes, lequel est si
gracieux et ensorcelant en ces tendres corps féminins. Pendant un mois, et
jusqu’au dernier jour du carnaval – date à laquelle les bals, selon la
coutume, prennent fin, je ne rentrais en mon logis que bien après minuit, la
chemise mouillée et les jambes fourbues, mais le lendemain, sur pied déjà à
cinq heures, frais comme l’aurore (laquelle n’était pas encore levée) et
l’esprit clair et friand de savoir, je prenais le chemin de l’École, portant
mes livres, et Miroul, à mes côtés, mon écritoire et ma chandelle. Nous avions
à la ceinture épée et pistolet, la nuit étant encore noire bien que
s’éclaircissant, mais arrivés à la rue du Bout-du-Monde, je déchargeais Miroul
de mon écritoire et de ma chandelle, et lui confiais mes armes. Je ne dirais
point que je n’avais pas les membres un peu las, et dans mon esprit, flottant
au-dessus des plaies, fièvres quartes et aposthumes que notre régent nous
décrivait, la vision des tendres minois de la veille, mais j’arrivais au bout
du labour du jour plutôt bien que mal. Et le soir, invité encore, je recommençais.
    La veille du Mardi gras, le frère
d’Aglaé, Justin de Mérol, fort joli brun de seize ans, qui m’avait pris en
amitié, vint m’apporter, tout riant, une grande robe blanche, un masque de même
couleur, un sac, et une corbeille en osier.
    — Et que dois-je faire de cet
harnachement ? dis-je, étonné.
    — Eh bien, dit Justin, qui
avait le rire large et facile, et ne parlait point comme sa sœur le français de
Paris, étant fort peu instruit, vous mettez la robe, vous attachez le masque,
et en sautoir devant vous, fixé par deux cordelettes, vous portez le sac.
    — Et que dois-je mettre dans le
sac ?
    — C’est un secret, dit Justin
en riant.
    — Et à quoi sert la
corbeille ?
    — C’est un secret.
    — Je gage, dis-je en la
retournant dans tous les sens, que cette poignée que je vois là, en son centre,
est pour la tenir devant soi comme un bouclier.
    — C’est bien gagé, dit Justin.
Pierre, ramentevez-vous, je vous prie, que demain douze février est le Carnaval
de la noblesse et que nous comptons bien nous divertir comme lièvres en mars.
    Je viendrai vous quérir céans sur le
coup de midi, et je vous dirai alors ce qu’il en est. Et riant et étourdi, il
s’en fut en courant, le plus gentil drole du monde, mais n’ayant que fort peu
de plomb en cervelle, non que cela fût pour lui de grande conséquence, car il
n’aurait pas à se donner peine pour avancer dans le monde, étant fils aîné d’un
père qui avait cent mille livres de rente.
    Toujours riant et courant, et le
pied fort léger (mais nous savons pourquoi), Justin revint le lendemain sur le
coup de onze heures, suivi d’un valet qui portait un grand sac.
    — Allons, dit-il en riant,
Pierre, harnachez-vous. Et sa gaieté, à la fin, me gagnant, heureux que j’étais
du plaisir particulier qu’il y a à se déguiser, et que ressent même le serpent,
je gage, quand il se revêt d’une autre peau, je passai la robe, mis le masque,
et au surplus cachai mes cheveux d’une toque, car étant blonds, ils m’auraient
fait trop facilement connaître. Justin fixa lui-même mon sac en sautoir autour
du cou, et riant à gueule bec, il dit :
    — Et

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