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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dans le déportement de tous, quel que soit l’âge ou le
sexe, se donne sans frein carrière pendant les fêtes du carnaval et du Mardi
gras, fêtes à la vérité fort païennes, encore que la tradition les lie au
carême chrétien. Il faut bien avouer que dans mon Sarladais on ne possède point
cette émerveillable exubérance ni une si grande amour de danses, des chants, de
la musique et des travestis. Le lecteur pense bien que sans délaisser pour
autant ma médecine, à laquelle je labourais comme tisserand à son métier
(j’entends que je tissais chaque jour la toile de mon savoir futur), je ne
laissais pas de profiter de toutes les occasions de me mêler aux cortèges
joyeux qui parcouraient la ville.
    En Montpellier, c’est en janvier que
les galants donnent des aubades aux mignotes : ils louent pour cela trois
musiciens (qui pendant ce mois-là ne sont guère désoccupés), deux de ceux-ci
jouent du hautbois, ou de la guitare, le troisième jouant tout ensemble des
cymbales, du tambourin et du fifre avec une dextérité que je ne me laissais
jamais d’admirer. De retour à l’apothicairerie, le soir, dès que je voyais une
petite troupe précédée de serviteurs portant des flambeaux, je la suivais.
Parvenus au logis de la belle, les musiciens entamaient le premier morceau. Le
père ouvrait alors une des fenêtres donnant sur la rue et demandait au galant
qui il était. Et si le galant se démasquait et se nommait, et pour peu que le
nom agréât au père, la fenêtre restait ouverte. Dans le cas contraire, elle se
refermait, et la maison restait close et sourde tout le temps de l’aubade, mais
sans paroles fâcheuses ni navrantes, et sans qu’on jetât non plus sur les
musiciens des pots d’eau, de bren et de pisse, comme cela, hélas, se faisait
ailleurs. Ces brutalités sont ignorées chez les Montpelliérains dont les mœurs
sont aussi bénignes et courtoises que leur climat est doux.
    Cette grande liesse du début de l’an
laisserait supposer que toute année commençante ne peut apporter que le
bonheur, ce qui assurément n’est pas toujours vrai, et ne le fut point, hélas,
pour l’année 1567 dans laquelle nous entrions et qui devait voir, avant sa terminaison,
le renouveau de nos guerres fratricides, les huguenots et les papistes se
déchirant de plus belle en notre malheureux royaume.
    Mais l’avenir est comme une toile
roulée sur soi qui ne se découvre que par le déroulement des jours, et en ce
janvier-là, c’est le cœur léger et ignorant encore des horreurs dont j’allais
être le témoin que je m’abandonnais avec la ville entière aux jeux qui tant
plaisaient à son aimable peuple.
    J’étais fort à mon affaire comme
bien on pense. Car les yeux grands ouverts et les oreilles aussi, et animé de
l’insatiable curiosité de mon âge, j’observais céans des jeux qui n’avaient pas
cours dans notre Périgord.
    Le jour du Mardi gras, le plus beau
de ce qui se pratique ici est la danse des cerceaux, laquelle se joue sur la place
de la Canourque, la plus belle de Montpellier, comme j’ai dit déjà, et celle où
le jour de mon arrivée en cette ville j’avais vu le gracieux ballet des
dragées.
    Il ne s’agit point, en ce Mardi
gras, de dragées, mais de cerceaux, lesquels sont blanc et or, et maniés par
des mignotes qui appartiennent à la noblesse et sont vêtues de longues robes
blanches, portent masque et resplendissent de bijoux. Leurs partenaires ont
même vêture, et le jeu, pour ceux-ci, consiste à passer et repasser, au son des
fifres, des cymbales et des tambourins, à travers les cerceaux que leur tendent
les drolettes, selon leur fantaisie et caprice. Car si le galant qui veut
pénétrer en leur cerceau ne leur agrée pas, elles le relèvent incontinent et le
font trébucher. S’il leur agrée, mais qu’elles veuillent faire les difficiles,
elles le lui tendent un temps très court et le retirent tout soudain, si bien
que le soupirant, s’il veut passer, doit se jeter la tête et les mains les
premières, les jambes après et choir de l’autre côté sur le pavé au grand péril
de ses membres. Cependant, s’il réussit cette prouesse, elle est fort
applaudie, et la fille, par des mines confites et vergognées, témoigne que son
cerceau est « pris ». Et encore que le quoi et le qu’est-ce de cette
danse ne puisse échapper à personne, l’admirable c’est qu’elle s’exécute
pourtant sans grossièreté aucune, ni gausserie paillarde, ni

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