En Nos Vertes Années
fuseaux ! Ces bouseux, dis-je, ces foireux, ces conchiés en
un mot ces embrennés de bren je ne sais au reste qui ils sont –, ont fait
de Maître Sanche… Siorac, c’est vilainie ! Nous ne pouvons laisser pareil
mannequin être promené de par la ville. C’est déshonorer l’École que de laisser
vilipender notre régent.
— D’autant que je l’aime de
grand amour, dit Samson dont l’œil tantôt pleurait, tantôt jetait des éclairs.
— Sait-on d’où vient le
coup ? dis-je.
— On ne sait, dit Carajac en
serrant ses larges poings, ils sont masqués mais ce que je sais bien, c’est que
je désire fort le leur rendre.
À quoi Gast et Rancurel branlèrent
le chef, l’air résolu.
— Eh bien, dis-je, dans ce cas
il faut tâter.
— Qu’est cela ? dit
Merdanson.
— Savoir qui ils sont et
combien ils sont. Tenez-vous tous en même place. J’y vais incontinent et je
reviens.
Me haussant alors sur les pointes,
et disant « Place, là ! Place ! Place ! Je
dis ! », je m’avançai hardiment dans la presse et tant est grande sur
une foule l’autorité d’un homme résolu et d’une voix forte, qu’elle s’ouvrit
devant moi comme la mer Rouge devant Moïse et que je parvins sans peine au
premier rang.
Je n’eus pas à chercher longtemps
pour reconnaître dans la vingtaine de mannequins que les plaisantins avaient
rassemblés celui de Maître Sanche, car un gros balourd, la trogne rouge et les
yeux porcins, le brandissait et le tournait de-ci, de-là au-dessus de sa tête
au grand ébaudissement de ses compères.
À vrai dire, l’image était
grossièrement faite, un peu à la façon d’un épouvantail à l’aide de deux bâtons
entrecroisés, mais le chef étant surmonté d’un bonnet d’apothicaire, la face
ornée d’un long nez tombant sur une longue barbe, Maître Sanche eût été de tous
en la ville reconnaissable, même s’il n’eût pas porté son nom en sautoir.
Cependant le méchant de l’affaire n’était pas la caricature, ni le ridicule qu’elle
donnait, mais les damnables inscriptions rimées qui étaient épinglées à sa robe
noire.
L’une sur les fesses disait :
Nous donnerons de par le cul
À qui nous tue par ses pilules.
Une deuxième, placée sur les parties
viriles, affirmait ceci qui n’était pas sans atteindre aussi Samson et
moi :
À vieux bouc escouillé
Chèvre jeune préfère écolier.
Et la troisième, attachée sur
l’estomac, proclamait :
Bon chrétien de cochon use.
Douteux chrétien le refuse.
Pis même : comme pour rendre
plus parlante cette sournoise accusation, on avait piqué çà et là sur la robe
de Maître Sanche, par dérision, des bouts de lard et de couenne.
Je restai béant devant tant de
malice, et si cruelle et si inane, car Maître Sanche était ici diffamé de
toutes les guises possibles – et dans son art, et dans son domestique et
dans la pratique de sa religion – cette dernière insinuation à la fois la
plus odieuse et la plus périlleuse, car elle le désignait, comme hérétique, à
la vindicte des prêtres.
Mon sang bouillonna tant à ce honteux
spectacle qu’à peu que je ne me jetasse sur ce gros malotru pour lui arracher
son mannequin des mains. Mais c’eût été folie. J’aurais été submergé par le
nombre de ses compères, lequel nombre, d’ailleurs, je ne connaissais point. Et
aussi bien venais-je pour tâter, et non pour engager. Me calmant par degrés, je
commandai à mon visage, et m’avançant vers ce gros maloneste en souriant, du
moins des lèvres (que seul mon masque laissait voir) et m’avisant que ma robe
blanche me donnait sur lui quelque ascendant, je lui dis sur le ton de la
protection courtoise :
— Monsieur, vous avez composé
là, à la vérité, un émerveillable mannequin et, à mon sentiment, le plus achevé
de tous ceux qu’on présente céans. Sans doute vos amis et vous-même êtes-vous
des écoliers en médecine qui avez eu à souffrir de la férule de Maître
Sanche ?
— Nous, des médecins ! dit
le balourd ! Fi donc ! Le médecin se nourrit de bren, de crachat et
de pisse. Nous avons d’autres nourritures : nous sommes légistes.
— Ha, Messieurs les légistes !
dis-je, contrefaisant le doux et le chatemitte, pour moi, vous êtes l’alpha et
l’omega du savoir et je vous prise au-dessus de tout. Et en l’honneur de votre
mannequin, je vous eusse, après le défilé, régalés tous, si vous n’étiez pas
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