En Nos Vertes Années
se
gaussant :
— Monsieur de Siorac, si j’en
crois mes yeux, partout où l’on cogne, vous êtes là !
— Capitaine, il le faut bien.
Avez-vous vu cet infâme mannequin ?
— Je l’ai vu, dit Cossolat, en
baissant la voix et la mine fort sombre, je l’ai vu avant que vous le
détruisiez et j’en augure fort mal, car derrière ces coquefredouilles de
légistes qui ne sont que béjaunes, et font tout ce qu’on leur dit sans voir
plus loin que le bout de leur nez, il y a de redoutables gens qui cheminent
sous terre et, bien qu’aveugles comme taupes, savent fort bien mener leur sape.
Pierre, ramentevez-vous bien ceci : quand on s’en prend aux marranes,
c’est que l’Inquisition n’est pas loin, et fourbit ses armes contre les
huguenots. Des bruits courent qui ne courent pas pour rien. La Médicis, dit-on,
incline de nouveau à flatter l’Espagnol, et vous savez le prix des alliances
qu’elle cherche avec lui. Nous allons vers un retour de nos persécutions.
Il avait parlé fort bas et n’ouvrit
plus la bouche jusqu’à la geôle où, nous ayant serrés dans une salle grande
assez, et qui comportait table et escabelles, il nous fit prêter serment de ne
point gasconner au sujet de notre exploit et de n’en piper mot à personne.
À cela qui nous frappa d’étonnement,
car nous n’avions pas vu plus loin dans l’affaire qu’une chamaillerie entre
légistes et médecins, il ajouta :
— Les gens qui ont fait ceci ne
vous sauraient pas gré de l’avoir défait et leur mémoire est longue.
— Capitaine, dit Merdanson,
quand serons-nous relâchés ?
— À la nuit. Un par un et par
une porte dérobée. Sauf Siorac pour qui j’ai un autre plan.
Et en effet, une heure plus tard, un
carrosse, tous rideaux tirés, m’attendait devant la porte dont Cossolat avait
parlé.
— Pierre, dit Cossolat en me
tirant à part, laissez ici votre harnachement. M me de Joyeuse vous
envoie chercher. Apparaissez devant elle en votre pourpoint bleu. Et Pierre,
poursuivit-il en me mettant l’index sur l’épigastre, pas un mot sur ce
mannequin. Vous n’y étiez pas. Vous ne l’avez vu. Par contre, parlez autant que
vous voudrez du tumulte des oranges. Bref, divertissez M me de
Joyeuse, qu’elle soit ravie de vous. Et qu’elle ait des raisons de se ramentevoir
que l’après-midi de ce carnaval, vous l’avez passé avec elle.
On peut croire si je m’épatais
d’aise dans le faste de ce carrosse doré au souvenir des périls que nous avions
courus. Cossolat, cependant, m’étonnait. Ha, pensai-je, me souvenant de ses dernières
paroles, même en l’hôtel de M me de Joyeuse, le Capitaine a donc de
fines oreilles à son service et qui le tiennent informé de tout.
— Monstre ! s’écria M me de Joyeuse tandis que je me jetais à ses pieds en baisotant ses mains potelées,
Monstre ! reprit-elle les yeux brillants, quel tyranniseur vous êtes en
vos ébats ! Vous choquez tout ! Vous mettez tout à terre ! Vous
éventrez ! Point de quartier ! Il faut vous céder en tout !
— Ho Madame ! dis-je, que
de reproches pour un petit tumulte !
— Petit, Monsieur ! Quand
on parle de vous en des petits vers épinglés au mannequin de Maître Sanche.
— Point n’ai vu ce mannequin,
dis-je promptement. J’étais en geôle pour l’affaire des oranges.
— Mais Justin l’a vu, et Aglaé
va vous répéter le pasquil.
— Oh Madame, je n’ose !
dit Aglaé, faisant sa farouche et sa virginale.
— Eh bien, j’oserai, moi !
Écoutez, Monsieur :
À vieux bouc escouillé
Jeune chèvre préfère écolier.
— Madame ! dis-je, c’est
une infamie ! En outre, le vers est mauvais : il y manque des pieds !
— Peu importe les pieds, dit M me de Joyeuse. Monstre, répondez-moi sans tant de quoi ni qu’est-ce. Qu’en est-il
de cette chèvre marrane à cet écolier que voici ?
— Madame, dis-je avec gravité,
si c’était vrai, l’honneur d’une dame me scellerait les lèvres. Mais la chose
est aussi fausse que modestie de capucin. La vérité est que je hais cette
chèvre-là de la corne au sabot.
Et M me de Joyeuse ouvrant
de grands yeux, je lui contai l’histoire de ma pauvre Fontanette.
— Eh mon Dieu ! dit M me de Joyeuse qui, quoiqu’elle eût bon cœur, n’en avait pas pour une simple
chambrière, faut-il donc tant d’affaire ? La garce sera retournée dans son
village, c’est tout simple. Ainsi, Monsieur, poursuivit-elle d’un air
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