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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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c’était Fogacer. Sans m’embrasser ni me toucher en aucune guise,
mais la face contrainte, il me tendit sa main au bout de son long bras, et
s’asseyant à une bonne toise de moi sur une escabelle, il me dit tout à
trac :
    — Dame Rachel a demandé votre
congédiement au très illustre maître.
    J’en demeurai béant.
    — Et, dis-je, quand j’eus
recouvré ma voix, de quelle raison a-t-elle coloré cette requête ?
    — Le bout rimé sur la jeune
chèvre et l’écolier. La femme de César, a-t-elle dit, ne doit pas être
soupçonnée.
    — Ventre Saint-Antoine !
Et Maître Sanche ?
    — Maître Sanche lui parla avec
les grosses dents, crachant feu et flamme, et la jeune chèvre, jouant des
sabots, s’est enfermée dans sa chambre. Voilà une couche qui ne s’ouvrira de
longtemps au pauvre maître. C’est pourquoi vous l’avez vu si troublé.
    — Mais, dis-je, d’où vient que
vous connaissez ce bout rimé ?
    Fogacer m’envisagea, levant son noir
sourcil.
    — J’étais là. Peut-être,
Pierre, n’avez-vous pas observé que parmi ces infâmes mannequins par quoi se
nourrit la malignité publique, il s’en trouvait un qui caricaturait un juge du
Présidial et dont la robe portait, elle aussi, un bout rimé qui s’en prenait à
ses mœurs, celles-ci étant celles que vous devinez.
    — Il est de vos amis ?
    — Il est de ceux que j’oserais
appeler ma confrérie, dit Fogacer non sans un air de fermeté qui me frappa,
encore qu’il fût fort pâle et mal à l’aise, avalant sa salive et la lèvre fort
sèche. Un autre de ces odieux mannequins, ajouta-t-il, figurait l’abbé Cabassus
dont on incriminait l’athéisme. Parmi les athées et les marranes, nous étions donc en bonne compagnie. Il dit ce « nous » avec une inflexion
particulière de la voix, la face fort contrainte comme j’ai dit, mais l’air
fier et comme s’il envoyait défiance au monde entier.
    — Fogacer, dis-je, vous étiez
là quand j’ai attaqué le mannequin de Maître Sanche ?
    — Oui, je vous ai reconnu en
dépit de votre masque, et mettant à profit le tumulte, j’ai arraché le bout
rimé qui incriminait le juge.
    — Vous m’avez reconnu malgré
mon masque ! m’écriai-je, béant, et l’air sévère, je l’envisageai œil à œil.
    — Entendez-moi bien, Pierre,
dit Fogacer en cillant et la mine fort longue, rue de l’Espazerie, quand
j’étais en mes folies, je ne vous avais point reconnu, mais quand, m’arrachant
mon masque de votre coup de poing, vous avez vu ma face, j’ai vu, moi,
l’expression de vos yeux, j’ai su qui vous étiez, et bien marri et vergogné je
me trouvai de vous avoir entrepris. Pour cela, dit-il en levant son sourcil
diabolique, et d’un ton qui n’était pas la moitié aussi modeste qu’il eût
voulu, je vous prie d’agréer mes plus humbles excuses.
    — Ha Fogacer ! dis-je, et
me levant et allant vers lui, je me penchai et, les mains sur ses épaules, je
le baisai sur les deux joues, ce qui, à mon considérable étonnement, le fit
rougir comme vierge. Fogacer, poursuivis-je, en lui tournant le dos pour ne
point le gêner plus outre, et marchant dans la chambre, vous êtes mon ami,
point d’excuses entre nous. Je vous en dois aussi pour vous avoir toqué. Peu
importent vos folies, comme vous les appelez. Medicus sum [72] .
Notre différence est affaire de complexion ou d’humeur. Je suis tout au
cotillon. Vous ne l’êtes point. Et c’est tout.
    — Sauf, dit Fogacer en
grimaçant quelque peu, que tout le cotillon du monde ne vous met pas en danger
d’être brûlé, comme moi, en place publique pour sodomie.
    — Ainsi, dis-je (et m’arrêtant
et lui faisant face, je l’envisageai d’un œil nouveau), vous vivez en ce
perpétuel péril !
    — D’autant que par surcroît, je
suis athée, dit Fogacer. Mais ce crime-là est plus facile à celer :
quelques momeries y suffisent.
    Combien que je n’aimasse pas ce mot
momerie appliqué aux rites papistes (car je gage, Fogacer en eût usé tout aussi
bien pour notre culte réformé) je tremblai à l’idée des dangers que le
bachelier courait. Encore que nous n’ayons qu’un corps pour nos bourreaux, quoi
qu’ils en aient, et que Fogacer ne pût brûler deux fois, et comme athée et
comme sodomiste, c’était déjà trop d’une. Le pensement m’en était affreux,
connaissant l’homme et le prisant très haut.
    — Fogacer, dis-je enfin pour
chasser de nos esprits l’image odieuse

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