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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de ce bûcher, Cossolat opine que de
puissantes, souterraines et méchantes gens sont derrière ces mannequins.
    — Nous l’opinons aussi, dit Fogacer. Comme vous savez, la révolte des
réformés dans les Pays-Bas contre le joug espagnol a déterminé Philippe II
à envoyer le long des frontières françaises une forte armée pour mettre à
raison ces « gueux » des Flandres, comme il les nomme. Or ces gens-là
que vous dites forment des vœux ardents pour que, ayant exterminé les gueux,
ces Espagnols alliés à notre souverain exterminent à leur tour les réformés de
France. Nous voilà bien loin des mannequins, pensez-vous ? Point du tout.
Car ces mêmes gens, pour qui aucun moyen n’est vil ni petit au regard de la fin
qu’ils poursuivent, espèrent qu’en s’en prenant en cette ville aux marranes,
aux athées et aux sodomistes, ils prépareront la voie aux bûchers où, le moment
venu, brûleront les huguenots.
    — Ah ! dis-je, j’ai donc
bien fait de détruire cet odieux mannequin.
    — Et vous feriez mieux encore à
l’avenir de bien garder votre vie, car, si fort protégé que vous soyez par
Cossolat, par M. de Joyeuse et par les marranes, ces gens-là que je dis sont
puissants et la patience ne leur fault.
    J’eusse dû mieux écouter ces
conseils, ils étaient sages, si peu que le fût celui qui les baillait, du moins
en ses travestis. La prudence, hélas, n’est pas dans ma complexion. Mais aussi
m’emportèrent en l’entreprise que je vais dire (et que mon père, dans une
lettre latine courroucée, appela «  atrocissima ») ma grande
amour de la médecine – et assurément, le feu du moment, la circonstance,
la facilité. Si, dans ces mémoires, j’ai plus d’une fois requis l’indulgence du
lecteur et fait fond sur sa bénignité, il ne faudrait point ici qu’elle se
dérobât : le besoin en est grand.
     
    *
    * *
     
    À Pâques prirent fin, à l’École de
médecine, les lectures de nos régents, et encore que Saporta et Bazin
continuassent jusque dans le juillet et l’août un enseignement privé qu’on ne
pouvait suivre sans débours, nous regrettions fort l’absence du Docteur Feynes
et surtout du Docteur d’Assas, lesquels se retiraient en leur maison des
champs, le premier pour y poursuivre en élégant latin son livre sur la variole,
et le second pour y vivre dans l’indolence et les délices, partageant son temps
entre les soins donnés à sa précieuse vigne et ceux qu’il baillait à sa
chambrière Zara. Mais surtout, avec la clôture des cours, c’en était fini des
dissections dont cette année, au rebours de ses promesses, le Doyen Bazin, par
sordide économie des pécunes de l’École, ne nous avait donné que trois. Le
troisième, à notre considérable ire et subséquent tabustage et tapage –
étant un singe ! De six du temps de Rondelet, tomber à trois (dont un
singe), c’était pitié et nos plaintes assaillaient Saporta, lequel malignement
nous renvoyait à Bazin, qui nous claquait la porte au bec, étant de complexion
hargneuse et venimeuse.
    — Siorac, me dit un soir
Merdanson tandis que nous étions attablés avec Carajac à l’auberge des Trois-Rois, je ne peux accepter ce manque. Est-ce la peine que Rondelet ait fondé à
Montpellier ce théâtre anatomique de merde pour qu’on y pratique trois
dissections par an ? Trois ! Ce fœtus de Bazin en avait promis
quatre ! Trois, c’est dérision ! Comment avancer dans l’histoire du
corps humain si nous répétons comme perroquets en 1567 ce que Galien et
Hippocrate ont écrit plusieurs siècles avant Jésus-Christ.
    — Je vois un moyen de pourvoir
à ce manque, dit Carajac en baissant la voix.
    Le chirurgien Carajac aux côtés de
qui Merdanson, en dépit de ses larges épaules, paraissait grêle, était si brun
de peau et de cheveu qu’il avait l’air d’un Turc, ce qui n’était point si
étonnant, étant donné toutes les incursions et séjours que ces payens avaient
faits dans les cinquante dernières années à Aigues-Mortes, ville qui était sa
patrie et qu’il prisait au-dessus de tout, quand du moins il ouvrait le
bec ; car il se tenait fort coi en son ordinaire, haut et large comme une
armoire, sans branler du chef ni de la main, la paupière bistre retombant à
demi sur sa prunelle de jais.
    — Lequel ? dit Merdanson.
    — Compain, dit Carajac,
connais-tu Cabassus ?
    — L’abbé, dis-je, dont on a
fait un mannequin au carnaval, lui donnant de

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