En Nos Vertes Années
et
dont nous ne sûmes que penser, car à l’accoutumée c’est dans les voies
urinaires qu’on les observe.
La dissection de l’orphelin menée à
son terme, on le recousit dans son linceul mais avant que d’en disposer, on
porta d’abord la courtisane à sa tombe pour l’y remettre. Cependant, la terre
sur elle repelletée, Merdanson nous déclara tout à trac qu’il ne voulait point
réinhumer l’enfant, mais l’emporter chez lui, dans une remise qu’il avait dans
son jardin, et là, en faire un squelette, dont il ferait don anonymement à
l’Ecole de Médecine pour servir à nos régents pour l’enseignement de tous. De
reste, l’entreprise serait aisée et demanderait peu de labour et de soin, le
pauvret n’ayant que la peau sur les os, étant mort de consomption à ce qu’il
apparaissait.
Nous ouvrîmes de grands yeux et lui
représentâmes qu’il y avait à cela grande incommodité et péril, et que c’était
risquer gros que de s’aller promener portant un cadavre dans les rues de
Montpellier alors que Cossolat venait de doubler les rondes du guet, craignant
qu’avec l’affaire des Flandres qui aigrissait les esprits, les plus excités des
papistes et des huguenots n’en vinssent aux mains sous le couvert de la nuit.
Rien n’y fit. Têtu comme un âne rouge (dont il avait d’ailleurs le pelage, non
seulement sur le chef, mais en d’autres parties du corps), Merdanson n’en
voulut pas démordre, et Cabassus, lequel comme Carajac et moi-même était
contraire à ce projet, à la fin mit les pouces, et il fut convenu qu’il
donnerait une grande bûche pour être enterrée à la place de l’enfant : ce
qui fut fait. Et nous voilà tous trois, masqués, et reprenant le chemin de la
ville, avec nos bâtons, nos cordes et la lanterne sourde, moi marchant en tête,
Carajac en second tenant à bout de bras, avec un soin extrême, le petit
balluchon que vous savez et, à quelques toises de lui, Merdanson portant sur
son épaule l’orphelin recousu dans son linceul, et enveloppé dans une flassada,
fardeau dont la seule puanteur eût suffi à attirer l’attention du guet.
Cependant quittant Montpellieret, il
fallut rentrer à Montpellier, et par une poterne dont la porte était close. Il
est vrai que le gardien était vieux et ivrogne, mais possédé de la curiosité de
son état, il n’eût pas manqué de s’enquérir du contenu de la flassada. Je priai
donc Merdanson de déposer à quelques toises son fardeau, et Carajac son
balluchon, ainsi que les cordes, les armes et le reste de notre attirail, et
quand nous eûmes tous trois les mains nues, mais cependant sans retirer nos
masques, je toquai à l’huis jusqu’à ce que la tête ébouriffée du vieil homme
apparût par un fenestrou.
— Portier, criai-je,
ouvre-nous !
— Voire, dit-il, qui
êtes-vous ?
— D’honnêtes droles de
Montpellier. Nous nous en revenons de Montpellieret où nous avons troussé nos
belles, ce qui nous a les bourses asséchées et le gosier aussi. Ouvre-nous et
va nous quérir un flacon de ton meilleur vin. Nous le paierons bien et, qui
plus est, nous le boirons avec toi.
Cela le décida. Il descendit. La
poterne s’ouvrit un petit, retenue par une chaîne, le gardien ne nous laissa
entrer qu’un par un, et posant sa lanterne il nous tâtait le corps pour
s’assurer que nous n’avions pas d’arme.
— D’où vient, dit-il, que vous
êtes masqués ?
— Je suis fils de noble,
dis-je, et ceux-là sont des rejetons de bourgeois étoffés. Nous ne voulons pas
être reconnus quand nous semons nos avoines folles.
— Et cette glaise qui tache vos
chausses, d’où vient-elle ?
— De la bonne terre de Dieu sur
laquelle nous forniquâmes faute d’un toit.
À quoi il rit à gueule bec et le
voyant si bien disposé, je lui graissai le poignet et je dis :
— Ton vin, bonhomme ! Ton
vin, par la grâce de Dieu, ou nos gargamels vont se fendre de la sécheresse !
— Moussu, dit-il en envisageant
mes piécettes à la lueur de la lanterne, si vous voulez du vin de Frontignan,
ce sera cinq sols de plus.
Je les lui baillai et il s’en alla,
clopinant. Incontinent, Merdanson et Carajac, franchissant à nouveau la poterne,
allèrent quérir nos bagages et les introduisirent à l’intérieur des murs, les
déposèrent dans une encoignure, et à bonne distance de la porte pour que
l’odeur de la flassada ne donnât pas l’éveil au gardien. Après quoi, il fut
plus que de trinquer
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