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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sacrilège m’ayant à tout jamais dérobé
celle de mon maître bien-aimé. Après ma mort, renaissant de ma cendre, je serai
succube aux enfers et vivrai sous ses pieds adorés, soumise à sa luxure. Mais
sache aussi que pour le dommage que tu m’as fait, je tirerai en cette vie de
toi vengeance éclatante, nouant ton aiguillette et te laissant à jamais sans
force dans les bras d’une garce.
    — Nouer mon aiguillette !
dis-je, la sueur me ruisselant sur les joues tant cette menace me terrifiait.
Il ne se peut, je ne vais pas convoler !
    — Je noue l’aiguillette,
dit-elle en grinçant des dents, de qui je veux et quand je veux, dans la noce
et hors la noce. Il me suffit d’un fil dont je fais un nœud et que je jette à
terre, ainsi qu’une piécette d’argent. Si la piécette disparaît, c’est que
Satan l’a prise et le drole est à jamais saisi de froidure !
    — Mangane ! m’écriai-je,
défailli presque de terreur et les genoux tremblant sous moi, tout mon or si tu
ne le fais !
    — Ton or ! cria-t-elle
avec dérision.
    Fol de rage et de peur, je lui
portai alors de ma courte épée un coup terrible, mais qui ne rencontra que le
vide. La Mangane disparut, comme absorbée dans les ténèbres dont elle était la
fille et j’eusse douté même l’avoir vue, si je n’avais entendu le bruit d’une
piécette tintant sur le pavé.
    — Elle l’a nouée !
criai-je d’une voix étouffée, l’angoisse me serrant la gorge et portant partout
alentour la lumière de ma lanterne, je cherchai le fil – que je trouvai
noué en huit – et la piécette que je ne trouvai pas, si longtemps que je
fusse à deux genoux la cherchant. La puissance infernale avait donc agréé et
consommé le maléfice. C’en était fait à jamais, en mes années si vertes, de mon
ardeur à aimer et à vivre.

CHAPITRE XI
    Je sais qu’il est en ce siècle
d’aucuns esprits forts qui, ne croyant ni à Dieu ni à Diable, iront se gausser
de mon effroi, n’attachant point de créance aux pratiques de sorcellerie,
lesquelles pourtant, et par les Églises et par les plus doctes du royaume, sont
tenues pour excessivement maléfiques. Et sans doute, à Mespech, riait-on des
simagrées de la Maligou mais la Maligou n’était point sorcière ni tenue comme
telle par Marcuays et dans nos villages. Sans cela on n’eût pas ri d’elle, on
eût tremblé. Car le sorcier dispose d’un terrifiant pouvoir pour faire dépérir
les troupeaux, assécher les puits, flétrir les fruitiers en une nuit, envoûter
les personnes par le percement d’une poupée, composer des philtres d’amour ou
de mort ou pis encore peut-être, nouer l’aiguillette d’un nouveau marié.
    On n’avait point tort de
trembler : ces pratiques n’étaient, et ne sont pas rares dans le Périgord
et sévissent plus encore dans le Languedoc où la peur qu’on a des noueurs
d’aiguillette est si répandue qu’on ne voit pas dix époux sur cent oser
célébrer leurs noces publiquement en l’église de leur paroisse.
    Il est constant, en effet, que dans
le moment où le prêtre prononce la phrase sacramentelle : Ce qui est
uni par Dieu ne doit pas être désuni par l’homme, il suffit qu’un sorcier
dans l’assistance, murmure mais par le Diable, et jette à terre derrière
son épaule un lacet noué en huit et une pièce de monnaie, pour que l’époux
perde à jamais la faculté de consommer son mariage. C’est pourquoi dans le
Languedoc on voit tant de droles et de drolettes s’aller épouser en catimini à
l’église d’un village voisin, ayant celé à tous, même aux plus proches (parmi
lesquels se pourrait cacher un jaloux), l’heure, le jour et le lieu, afin
d’échapper par le secret de la cérémonie à la malédiction qui pèserait sur le
couple, non point seulement sa vie durant, mais jusqu’au jour du jugement
dernier, si l’un des assistants, inspiré par les puissances d’en bas, se livrait
à l’infernale pratique.
    Le reste de la nuit, qui fut fort
court, je le passais sans l’œil fermer, et tant effrayé de mon avenir sans joie
que par moments, malgré la fraîcheur de ce printemps, la sueur me coulait à
profusion par tous les pores de la peau. Mais il me fallut lever le matin,
fourbu et moulu que j’étais, pour m’aller ouïr les lectures privées de Saporta
et de Bazin, ce que je fis d’une seule oreille et d’un demi-entendement,
l’autre moitié étant fort occupée à rouler les sombres pensées qu’on

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