En Nos Vertes Années
quand il revint avec le bonhomme et de vider avec lui le
flacon, ce que nous fîmes de bon cœur, ayant la gorge, en effet, fort sèche
après cette macabre nuit.
Par bonheur le logis de Merdanson
était sis à une jetée de pierre seulement de la poterne et quand, ouvrant son
huis, il mit sous clé dans sa remise l’orphelin, les bâtons, les cordes et la
deuxième flassada, je poussai un demi-soupir. Je dis bien un demi, car
Merdanson quitté, il restait toujours au bout du bras de Carajac, enveloppé
dans un mouchoir, le cœur de la courtisane, preuve mêmement accablante, si nous
rencontrions le guet, du crime que nous avions commis. Je tâchai à persuader
Carajac que, les archers surgissant au détour d’une ruelle, il aurait à jeter
le damnable paquet dans une encoignure ou par-dessus un mur, mais il ne voulut
pas y consentir, craignant d’endommager par une chute un si délicat organe. À
quoi je répliquai qu’il aurait lui-même beaucoup davantage à pâtir, si on
l’envoyait avec nous aux galères. Mais si grande était son amour du savoir
qu’il n’en voulut pas démordre et le bec cloué, je me jurai bien en mon for de
ne jamais recommencer pareille aventure avec des droles si acaprissats.
Enfin, Carajac (qui, en son commerce
quotidien, était froid et fort éloigné du cotillon) arriva en son logis avec le
cœur ; le quittant et me sentant d’autant plus léger que je n’avais plus
de compagnon, et rien sur moi qui pût révéler d’où je venais et ce que j’avais
fait, je crus que je n’avais plus rien à redouter, sinon peut-être des larrons
de nuit, mais dégainant, et marchant au milieu de la rue, fort leste au
demeurant, je me sentais l’égal de toute mauvaise fortune qui pourrait
m’échoir.
La marche m’ayant échauffé, je
retirai pour la commodité mes gants et mon masque, les mis dans mon pourpoint,
et d’une main tenant mon braquemart et de l’autre, ma lanterne sourde, je
cheminais à l’aise, fier et fendant, et à grands poumons respirant la fraîcheur
nocturne, et me cuidant tiré des épines et serpents de cette périlleuse
affaire. Ne savais-je pas, pourtant, que c’est au sein d’une bonace qu’éclate
le plus souvent la tempête ?
J’avais à peine tourné l’angle de la
rue de la Barrelerie et je touchais au but, n’étant plus qu’à quelques toises
de l’apothicairerie, quand j’eus l’impression d’être suivi par une ombre,
laquelle pourtant ne faisait sur le pavé aucun bruit, mais que je voyais,
néanmoins, danser derrière moi dans le halo de la lanterne sourde. Ha !
j’eusse mieux fait alors, éteignant celle-ci, de prendre mes jambes à mon cou
et de rejoindre mon logis, mais assuré que j’étais de ma valeur, et voulant en
avoir le cœur net, tout soudain je fis volte-face et courant sus à l’ombre, je
lui braquai dessus, et ma lumière et mon arme ; Ha ! Seigneur !
Ha ! Divin Christ ! À peu que le sang ne se glaçât en mes
veines ! C’était la Mangane, laquelle, les yeux lançant des flammes, et la
bouche vomissant plus de haine que n’en contient l’Enfer, me saisit la
main – contact qui me paralysa – et dit d’une voix sifflante :
— Où sont tes griffes, Sieur
Bouc ? Où sont tes yeux d’un noir d’encre ? Où est ta boiterie ?
Ha traître ! Ha méchant chien ! Tu m’as vilainement abusée !
J’eusse dû l’entendre le moment que tu m’as besognée, ne sentant ni tes griffes
ni tes morsures, ni le feu de l’Enfer dans mes entrailles ! Misérable
chrétien, ne sais-tu que Monseigneur le Grand Bouc embourre sept fois de suite
les sorcières avant de les laisser aller, pantelantes, griffées, mordues, et le
ventre dévoré de sa flamme. Car sa semence flambe ! Et la tienne est
inerte !
— Mangane ! dis-je enfin
d’une voix mal assurée tant l’Enfer me paraissait parler dans cette voix
sifflante, il n’y a eu ni tromperie ni fallace. C’est toi qui t’es trompée sur
moi.
— Tu ne m’as pas détrompée,
chien de chrétien !
— Je ne le pouvais, voulant te
voir départir au plus tôt, ayant besogne à faire.
— Besogne de vilain !
hurla-t-elle si du moins on peut parler de hurlade pour décrire le sifflement
terrifiant d’un serpent, j’ai tout vu par la vitre de Cabassus ! Et demain
je dirai tout !
— Ha Mangane, dis-je, si tu
parles, tu te condamnes toi-même au bûcher !
— Sache, dit-elle, que j’aspire
de tout mon cœur au bûcher, ton étreinte
Weitere Kostenlose Bücher