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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Mangane avait été serrée en geôle, mais non point qu’on
menaçait Cabassus d’un sort semblable, et quand je le leur appris, ils furent
si épouvantés que Merdanson parla de fuir la ville, le jour même, sans tant
barguigner.
    On en disputa âprement, Carajac
opinant pour, et moi contre, et bien marri de les voir prendre mon opposition
fort à rebrousse-poil, non qu’ils me reprochassent de les avoir fourrés dans un
bourbier sans les en pouvoir tirer, mais si ce grief n’était pas dans leur
bouche, je le sentais frémir au bout de leurs langues et j’eusse presque
préféré qu’il passât leurs lèvres.
    Nous en étions là, et je voyais à
leurs yeux que leur humeur contre moi s’aigrissait chaque minute davantage par
la terreur qui les poignait. On frappa à l’huis. C’était Cossolat.
    Merdanson à sa vue pâlit et à demi
se leva, Carajac jetant les yeux autour de lui comme s’il cherchait à fuir.
    — Monsieur, dit Merdanson d’une
voix étranglée, venez-vous m’arrêter ?
    — Je ne sais, Monsieur, qui
êtes-vous ? dit Cossolat, mi-figue mi-raisin, son œil noir pétillant. Et
vous. Monsieur, dit-il à Carajac, comment vous nomme-t-on ? À vos carrures
si bien décrites par la Mangane, je pense que je l’ai deviné.
    Et comme mes deux compagnons
restaient béants et stupides, il poursuivit :
    — Je l’eusse deviné, même si
votre question, qui était fort sotte, n’eût pas suffi à vous incriminer.
Rasseyez-vous.
    Ceci fut dit sur un ton de commandement
et mes deux compagnons s’assirent, marris d’être traités de sots, et cependant
soulagés, car l’attitude de Cossolat était plus moqueuse que menaçante.
    — Monsieur de Siorac, dit
Cossolat, si j’entends bien, je peux parler de votre affaire devant vos amis.
Ils ont même intérêt que vous à être instruits de ses suites.
    — Monsieur, dit Merdanson sans
me laisser le temps de répondre, faut-il fuir ?
    — Autre question qui vous
accuse ! dit Cossolat avec un petit rire. Croyez-moi, Monsieur, vous êtes
trop béjaune pour comparaître devant des juges.
    — Monsieur, dit Carajac en
laissant percer quelque irritation, ne vous gaussez pas. Vous êtes huguenot.
Nous le sommes aussi. Répondez-nous : faut-il fuir ?
    — Monsieur, dit Cossolat en
sourcillant fort et en haussant le ton, je me gausse quand je veux. Bien que
bon huguenot, je n’aime pas les huguenots qui profanent les tombes. Et quant à
fuir maintenant, ce serait folie. Je vous ai répondu.
    Après quoi, il y eut un grand
silence, Merdanson et Carajac ayant le bec cloué, et fort quinauds et penauds
de cette rebuffade.
    — Monsieur de Siorac, reprit
Cossolat, l’air fort satisfait d’avoir rebéqué mes compains, qu’avez-vous
appris de l’ami de qui vous savez ?
    — Que Cabassus a été cité à
comparaître devant le Présidial, qu’il s’est récusé, arguant qu’il était
prêtre, et que le Présidial a demandé à son Évêque d’instruire contre lui.
    — Est-ce tout ?
    — Oui.
    — Ma visite n’est donc pas
inutile, dit Cossolat.
    Oyez la suite. L’Évêque a commis
trois chanoines pour aller interroger Cabassus en sa masure. Il était au lit,
fort travaillé d’un catarrhe qui le rendait providentiellement aphone. Ils
n’ont donc pu tirer de lui que des sons, et le jugeant fol et rassotté, ils
allaient le quitter quand l’un des trois, en fouinant, a mis la main sur son Nego. Cornebceuf ! D’après ce qu’on m’a dit, c’est poudre et feu que
ce traité ! Il n’a pas plus de cent pages, mais chaque page vaut un fagot,
et il n’en faut pas cent pour brûler un athée.
    — Ha ! dis-je avec
chagrin, Cabassus est perdu et par ma faute !
    — Par la sienne, dit Cossolat.
Quand on est de ces opinions, c’est démence que de les coucher par écrit. Les
chanoines l’ont serré dans une geôle ecclésiastique.
    — Le mettra-t-on à la
question ?
    — On ne le peut de présent,
puisqu’il est prêtre. Mais les chanoines vont ordonner sa dégradation. Et une
fois dégradé et réduit à l’état laïc, il sera livré au bras séculier et le
Présidial pourra alors ordonner la question.
    Il m’envisagea œil à œil.
    — C’est ici, Monsieur de
Siorac, que l’ami de qui vous savez sera infiniment précieux, s’il vous informe
à temps.
    — Pour fuir ? demanda
Merdanson d’une voix éteinte.
    — Monsieur, dit Cossolat,
sachez bien qu’en fuyant, vous perdez tout : votre famille, vos

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