En Nos Vertes Années
viendrait de me confesser, de lui dire le déterrement, mais en aucune
guise la fornication, le péché de chair paraissant à Samson plus damnable que
tout autre.
Après mille nouveaux baisers et
mille assurances que si j’avais des ennemis mortels, il mettrait son épée à mon
service (ce qui me fit sourire en mon for pour ce qu’il était si lent à la
tirer, tout vaillant qu’il fût), il s’en alla, et tel fut sur moi l’effet bienfaisant
et de sa grande amour et de sa bonté angélique que je dormis mieux cette
nuit-là que la douzaine de nuits qui l’avaient précédée.
Je me réveillai aussi plus gaillard
et plus vif et me testonnant le cheveu devant mon petit miroir, dans mes
chausses déjà, mais en chemise et le col nu, je dis, m’envisageant œil à
œil : « Eh bien, si ma tête doit tomber, qu’elle tombe, Ventre
Saint-Antoine ! Du moins je ne serai pas lâche ! » Et tournant
la chose en comédie que je me donnais, et imaginant que j’étais déjà sur
l’échafaud public entouré d’un grand concours de peuple, je m’avançai d’un pas
fier et fendant dans ma chambre, les mains derrière le dos comme si elles
étaient liées, et m’agenouillant devant mon escabelle comme si ce fût un
billot, j’y posai la tête, et le cou offert, je dis au bourreau d’un ton de
commandement :
— Frappe, vilain !
Et tant me plut cette bravade que je
la recommençai incontinent et ce faisant, je me sentis tout soudain tant guéri
et rebiscoulé de la terreur qui me rongeait qu’à partir de cet instant, ayant
comme arraché son venin à l’imagination de la mort, je cessai de trembler, de
pleurer, et de lamenter mon sort.
Ce jour-là était un mercredi, jour
où M me de Joyeuse me recevait pour « m’abandonner le bout de
ses doigts », comme elle avait dit si joliment dans sa lettre.
Après un bel et bon repas aux Trois-Rois, arrosé d’un vin des Corbières (car j’avais résolu – mon
avenir étant si peu sûr – de ne pas tant ménager mes deniers), je me
rendis à l’hôtel de Joyeuse d’un pas infiniment plus léger, et m’étant fait, le
matin, une sorte de règle de considérer ma mort comme certaine, je me sentais
le cœur comme nettoyé du fatras du désespoir – celui-ci n’étant rien
d’autre qu’une sournoise façon d’espérer.
Ce changement n’échappa pas au bel œil
pétillant d’Aglaé de Mérol quand elle vint me prendre dans l’antichambre pour
me mener aux appartements de M me de Joyeuse. Sur ce ton mi-tendre
mi-piquant qu’elle affectionnait avec moi, elle me dit, balançant son ample
cotillon, lequel était de soie bleue brodée d’or :
— Pour un homme dont la tête
tient si peu aux épaules, il faut bien avouer, Monsieur de Siorac, que vous
avez fière face et fendante allure.
— Madame, c’est que je suis
heureux de vous voir.
— Pédagogue, gardez pour
d’autres ce compliment inane.
— Pédagogue, Madame ?
dis-je en m’arrêtant et en l’envisageant œil à œil. Comment
l’entendez-vous ?
— N’avez-vous pas admis ma
bonne maîtresse comme élève en votre École du Gémir. Et bon régent vous devez
être, car chaque mercredi que Dieu fait, je l’ois gémir davantage.
— Madame, si j’avais l’heur
d’être votre mari, je vous tiendrais à cette école-là le matin, le midi et le
soir.
À quoi elle rit, rosit, et ondula du
chef à l’orteil, me laissant tout charmé de ce branle.
— Monsieur, dit-elle enfin, ne
serait-ce pas là trop d’école et trop d’étude ?
— Nenni, nenni. Le gémir ne
requiert point tant de labour. Il n’est que de se laisser aller.
À quoi elle rit de nouveau, ses
fossettes se creusant délicieusement de chaque côté de ses lèvres.
— Ha Madame ! dis-je, vos
fossettes ! Il me faut les baiser sur l’heure !
— Et pourquoi, Monsieur ?
dit-elle sourcillant, la tête haut levée sur sa fraise à godrons.
Cependant, ce disant, elle s’arrêta,
et loin de s’éloigner de moi, parut se rapprocher davantage.
— Madame, vous me devez ces
fossettes : je vous ai fait rire.
Et ce disant, sans parlementer plus
outre, je la pris dans mes bras et je la baisai trois fois : une fois sur
chaque fossette et une fois sur les lèvres.
— Ha Monsieur ! dit-elle
fort fâchée, mais toutefois frémissante, vous me recrutez de force pour votre
école ! Poursuivez seul ! Je demeure céans !
Sur quoi, en effet, elle s’assit sur
un fauteuil, la tête
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