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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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matin, ni le Doyen Bazin ni le
Chancelier Saporta ne baillaient de lectures à l’École de médecine, et je
demeurai en ma chambre à colliger mes notes, bien plus attentif à mon labour
que j’eusse pensé, l’instant du dénouement étant si proche.
    Sur le coup de onze heures
apparut – avec toute la pompe qu’ils affectionnent en leurs
cérémonies – une bonne cinquantaine de prêtres papistes en un fort
chatoyant cortège de camails et de chasubles comme s’ils allaient à messe
solennelle à Notre-Dame-des-Tables. Le grand vicaire, les chanoines et le curé
de Saint-Denis (Cabassus étant de sa paroisse) prirent place sur l’estrade, et
le menu fretin des petits abbés, diacres, sous-diacres, et acolytes restant
debout sur le pavé, mais au premier rang, devant les archers de Cossolat et
Cossolat lui-même, afin que nul n’ignorât que le clerc l’emportait sur le laïc.
    Monseigneur l’Évêque arriva dans un
carrosse découvert tiré par quatre chevaux, mitre en tête et crosse en main,
fort acclamé par le sot peuple qui était accouru là comme au spectacle.
L’Évêque, qui paraissait malade, monta sur l’estrade avec une majestueuse
lenteur, protégé du soleil par un dais de couleur pourpre tenu par quatre
clercs.
    On frappa à mon huis : c’était
Fogacer qui requit de moi la permission d’assister à la dégradation du poste de
ma fenêtre, celle-ci donnant de meilleures vues que la sienne.
    — Ha, dit-il, voilà ce pauvre
Cabassus, qui fut imprudent assez pour désirer redresser les erreurs des
hommes.
    — Mais, où donc est-il ?
    — Là, tout à fait à senestre,
flanqué de ces deux gros chanoines.
    Je n’avais pas reconnu, au premier
abord, Cabassus, pas plus que je ne l’avais distingué de ceux qui l’entouraient
parce qu’avant de l’amener sur l’estrade de son déshonneur, on l’avait lavé,
rasé et revêtu des habits sacerdotaux propres à son rang, et notamment d’une
chasuble tout aussi soyeuse et brodée d’or que celles des prêtres qui l’allaient
dégrader. Et outre que je ne l’avais jamais vu si propre, ni si splendidement
paré, il ne roulait point des yeux. Il les tenait baissés, et loin de jaser, de
s’agiter et de se trémousser sans fin comme il faisait à son ordinaire, il se
tenait fort coi et quiet, la mine non pas triste, mais grave.
    — Ha Fogacer ! dis-je fort
troublé, va-t-il persister ?
    — Oui-da, il veut brûler et de
la sorte porter témoignage de sa foi en la non-existence de Dieu. En quoi il
est bien fol pour ce que la non-foi n’étant pas la foi, mais son contraire,
elle ne requiert pas de martyr.
    La cérémonie débuta par des chants
latins célébrant la gloire et la puissance du divin maître. Puis Monseigneur
l’Évêque, lequel était pâle et paraissait travaillé d’un mal d’estomac et d’un
feu d’entrailles, appuyant souvent sa main sur son ventre, se leva et prononça
sur le même thème une homélie assez courte. Après quoi se rasseyant, il
s’adressa à Cabassus sur un ton paternel et l’air plus chagrin que sévère.
    — Fili, credesne in Deum [77]  ?
    — Domine, dit Cabassus d’une voix faible mais ferme et distincte, non credo
in Deum. Nego Deum esse.
    — Nominas Deum. Ergo Deus
est.
    — Deum verbum atque nomen est.
In se non est [78] .
    À quoi l’Évêque poussa un soupir qui
ne me parut pas que de façade et de cérémonie, et en fait, j’ouïs plus tard par
M. de Joyeuse que, tenant comme le curé de Saint-Denis que Cabassus était fol,
il n’eût jamais agi contre lui sans le scandale du mannequin et la pression du
Présidial.
    — Fili, reprit-il, errare
humanum est. Perseverare diabolicum.
    — Diabolus non est, dit
Cabassus [79] .
    L’Évêque, se tournant alors vers un
grand et fort chanoine qui était assis à sa droite, lui dit d’une voix fort
lasse de poursuivre. Le chanoine se leva. Il avait belle trogne et cramoisie,
l’air plus impérieux qu’évangélique, et la voix fort sonore. Et autant l’évêque
avait été doux, autant il se montra à l’égard de Cabassus dur et rugissant. Et
combien que ses imprécations fussent tout à fait inutiles après la profession
de foi publique de Cabassus, sa diatribe latine dura une longue demi-heure
pendant laquelle l’Évêque portant la main sans cesse à son épigastre eut l’air
de souffrir beaucoup en sa chair, et en son esprit davantage, paraissant fort
impatient de cette éloquence – à laquelle il mit fin

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