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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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admettre ici ?
    Connaissant tout le prix qu’elle
attachait à la noblesse, je ne voulus pas en disputer avec elle, et me
contentai de l’envisager gravement sans piper mot. Et à la fin d’un temps assez
long où mon regard lui dit tout ce que mes lèvres ne voulaient pas prononcer,
sa bonté naturelle finit par l’emporter sur le sentiment de son rang et,
trouvant un compromis qui pût accommoder l’un à l’autre, elle dit d’un air
indifférent :
    — Ha mon mignon ! Ne nous
mettons pas tant martel en tête ! Vos amis seront reçus par mon intendant
et logeront chez lui.
    Je lui couvris les mains de baisers
puis les bras qu’elle avait ronds et fermes et veloutés et que je louais
hautement connaissant bien son faible. Qu’avais-je dit là ! Il fallut que
tout y passât, comme à l’accoutumée.
    — Certes, dit-elle, j’ai de
beaux bras, mais le nez, Pierre, le nez est-il pas un peu gros ?
    — Ha Madame ! point du
tout ! Il est racé ! Il ne faut point le voir en dehors de la belle
face où il se trouve, mais entouré de vos boucles blondes et éclairé de vos
yeux mordorés.
    — Oui, l’ensemble n’est point
mal, il me semble. Mais le cou, Pierre, le cou ? Qu’opinez-vous du
cou ? Il est de méchantes gens…
    — Ha Madame, ne me parlez pas
de ces vipères ! Si je les connaissais, je leur écraserai la tête du
talon ! Votre cou, Madame, est divin, doux et mollet, et je ne peux le
voir fléchir gracieusement sur votre épaule sans que l’envie me démange les
lèvres d’y piquer mille petits baisers.
    — Hé ! Mon mignon !
dit-elle toute rieuse, qui vous en empêche ? Je ne demande que cela.
    Et mon appétit alors me revenant et,
par ailleurs, content assez de ne point tant me fatiguer la cervelle à lui
trousser des compliments nouveaux, je la baisotai à la fureur dans le cou, aux
tétins, sur son joli ventre rond mais j’abrège, le lecteur sait que le baiser
est une sorte de petite bête qui voyage beaucoup. Et hic et nunc [76] l’École du Gémir, comme disait Aglaé, reçut ses deux élèves, car à parler
franc, je ne sais lequel des deux faisait la lecture à l’autre, tant les
gémissements se valaient.
    Au sortir de l’hôtel de Joyeuse,
quelqu’un me prit par-derrière le bras. C’était Cossolat.
    — Cornebœuf, Siorac ! me
dit-il à l’oreille, je vous vois piaffant et fendant comme étalon au pré, et le
feu vous sortant des naseaux. Vous voilà donc, je gage, dénoué à un bout (il
rit). Mais il s’en faut que tout se dénoue aussi bien à l’autre. Votre chef ne
tient qu’à un fil. Les chanoines ont ordonné pour demain la dégradation de
Cabassus. L’estrade sera dressée devant l’apothicairerie, Place des Cévenols,
et quasiment sous vos fenêtres. J’y serai. La dégradation achevée, j’ai la
tâche de mener l’ex-abbé à la geôle de ville, où sur l’ordre du Présidial,
l’exécuteur, sur trois heures de l’après-midi, le mettra à la question.
    Et baissant encore la voix, il
ajouta :
    — Prévenez Fogacer qu’il ait à
voir son ami demain dans la soirée, et vous dise incontinent si Cabassus vous a
nommé. Chaque minute sera précieuse.
    Chose étrange : le danger était
maintenant trop proche pour que je pusse, armé de mon nouveau courage, le
ressentir comme j’avais fait. Si mauvaises que fussent ces nouvelles, je les
accueillis d’un front égal, sans ciller ni broncher, laissant Cossolat étonné
de mon impassibilité. Au dîner chez Maître Sanche, je parlai davantage qu’à
l’accoutumée, et argumentai même non sans flamme avec Fogacer et Maître Sanche
sur la contagion du mal italien, le Bachelier tenant avec le médecin de Vérone,
Jérome Fracastor, que la contagion se faisait de corps à corps par des sortes
d’insectes si petits que l’œil ne les pouvait découvrir. À quoi Maître Sanche
répliquait que puisque Fracastor n’avait pu les voir, c’est qu’ils ne se
trouvaient pas là. Il me semblait, à les ouïr l’un et l’autre discuter, que le
sens commun parlait par Maître Sanche, mais non peut-être une logique plus
fine, car d’où venait que dans toutes les maladies qui se transmettaient, les
agents de la contagion n’étaient jamais visibles à l’œil humain, combien qu’on
sût qu’ils étaient présents.
    Je fus réveillé le lendemain à la
pique du jour par les marteaux des artisans mécaniques qui dressaient l’estrade
Place des Cévenols sous ma fenêtre. Ce jeudi

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