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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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son épée sur le pommeau fort haute, affectant
de tâter sa dague, et tantôt haussant et tantôt enfonçant son bonnet, et lui
disant, entre autres fâcheuses paroles, qu’il le « rendrait aussi petit
compagnon qu’il voulait faire le grand ! »
    — Ha pour le coup, dis-je,
c’est traiter fort mal un prince du sang et le chef d’un parti aussi puissant
que le nôtre ! Que fit Condé ?
    — Il écouta, découvert, cette
merveilleuse algarade, puis saluant et sans mot piper, quitta la Cour dans
l’heure, craignant d’y être assassiné.
    — Ha Cossolat ! dis-je,
c’est la guerre ! N’est-ce pas pitié ? La guerre qu’aucun des deux
partis ne veut : et pourtant ils s’y jettent, front baissé par la grande
méfiance et peur qu’ils ont l’un de l’autre.
    On toqua à l’huis, et l’alberguière
entra, qui m’apportait à manger, et nous répartit équitablement des souris et
des œillades, lesquels pourtant tombèrent à plat, Cossolat et moi-même nous
entrevisageant, cois et la crête fort basse, ayant le cœur serré de cette
grande querelle entre sujets d’un même Roi.
    — Pierre, dit Cossolat, quand
l’alberguière s’en fut allée, que ferez-vous si les huguenots de Montpellier
tâchent de s’emparer de la ville ?
    — Ha Cossolat, dis-je, voilà
donc la raison de cet entretien ! Vous me sondez ! Vous avez reçu
mandat de me sonder ! Et cependant ma réponse, vous l’avez déjà ! Mon
père n’a point consenti à tirer l’épée contre son Roi lors des premiers
troubles dont la France a été si durement travaillée, et à cette occasion que
voici je ne tirerai pas la mienne davantage, sauf…
    — Sauf ?
    — Sauf si les acharnés papistes
nous veulent céans faire un massacre comme à Vassy il y a cinq ans.
    — Cela n’est pas à craindre,
dit Cossolat. Nous sommes ici tant plus forts qu’ils ne sont.
    — Nous, Capitaine
Cossolat ? dis-je avec un demi-sourire et cependant gravement assez.
Nous ? Dans quel camp êtes-vous ? N’êtes-vous pas un officier de M.
de Joyeuse ? Et que ferez-vous s’il vous demande d’affronter les nôtres,
les armes à la main ?
    — Ha Pierre ! dit Cossolat
avec un profond soupir, c’est là tout justement le point ! Et tant s’en
faut que je l’aie résolu ! Loyal je suis et je veux être au souverain. Et
pourtant !…
    Je quittai Cossolat non sans quelque
compassion pour la grande doutance où je le voyais, déchiré qu’il était entre
sa foi et son Roi, et ne sachant ni voulant choisir. Et bien je me ramentevais
que mon père, ayant refusé lors de la première de nos guerres civiles de se
joindre à l’armée huguenote de M. de Duras (celle-là même qui assiégea Sarlat)
en eut la conscience fort longtemps tourmentée, l’oncle Sauveterre lui disant,
pour le conforter, que dans une affaire qui mettait en jeu des devoirs divisés,
quel que fût le parti auquel on s’arrêtait, « on ne pouvait que se sentir
ensuite dans son tort ».
    Le 21 septembre, en ouvrant ma
fenêtre le matin, et fort étonné de trouver le ciel noir et menaçant – car
il avait fait fort chaud jusque-là –, je me penchai pour voir si le pavé
luisait ou non de pluie et dans ce mouvement que je fis, je découvris des
hommes vêtus de longues chemises pourpres, entassant un bûcher sur la place des
Cévenols. Le nœud de la gorge tout soudain me serra et je sus qu’on allait
brûler Cabassus. Ce que me confirma Fogacer, lequel entrant dans ma chambre
sans toquer, pâle et la face chagrine (car il avait deux raisons, comme on
sait, de craindre un sort semblable), envisagea sans mot dire, debout à mes
côtés, les funèbres préparatifs du bourreau et de ses aides. Au bout d’un
moment, les archers de Cossolat apparurent, prirent place tout autour du bûcher
et dans les rues circonvoisines afin de contenir le peuple qui commençait déjà
d’affluer, le brûlement d’un homme n’étant point spectacle à manquer. Et
Fogacer, observant que les soldats étaient fort nombreux et armés en guerre, en
conclut que Cossolat craignait – non sans bonne raison – la
répétition du tumulte qui avait suivi la dégradation de l’abbé.
    — Pierre, me dit-il, fermez à
demi vos deux pans de rideau, mettez un masque, et sur vos blonds cheveux qui
ne sont point si communs en Languedoc, posez une toque afin de n’être point
reconnu. Je vais incontinent aviser le très illustre maître d’avoir à fermer
boutique et cadenasser

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