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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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jusqu’aux fenêtres des maisons, celles-ci étant garnies
d’une infinité de personnes des deux sexes et jusqu’à des femmes grosses et des
mères allaitant leur petit, lesquelles riaient, clabaudaient et se gaussaient
comme si elles allaient assister à un jeu de farce ou de batellerie. La foule
sur la place, à ce que je pus en deviner (car Fogacer, me saisissant le bras,
m’empêcha d’écarter les deux pans du rideau), était immense, et je sus, sans le
voir encore, que Cabassus apparaissait quand une huée s’éleva qui fut tant
forte, stridente et sauvage qu’elle me glaça et que je fus un moment avant
d’entendre les mots qui étaient hurlés avec tant de haine par des milliers de
bouches.
    — Brûle, athée !
Brûle !
    — Ha ! dit Fogacer fort
pâle et me saisissant la main, qui a dit que l’homme est un loup pour
l’homme ? Ce dicton n’a qu’un tort : il diffame le loup.
    — Je ne peux en voir davantage,
dit alors Maître Sanche, la voix tremblante, je retourne en mon officine. Et
incontinent il nous quitta.
    Cabassus, encore qu’il fût flanqué
de deux archers, n’avait ni les jambes entravées ni les mains liées, mais
toutefois marchait avec une peine infinie et comme titubant, tant parce qu’il
était mal remis des tortures qu’il avait subies que parce qu’on lui avait
attaché sur le dos une grosse botte de paille qui gênait beaucoup ses pas et
qui était, je gage, comme le symbole du sort qui l’attendait. La foule du reste
ne s’y trompa point qui fit là-dessus des quolibets et gausseries,
criant : « Bats le briquet, scélérat, et rôtis-toi ! » Mais
cette vue déplut fort aux chanoines, peut-être parce que ce fardeau, tout dérisoire
qu’il fût, leur ramentevait la croix qu’on avait fait porter à Christ sur son
Golgotha. Tant est qu’après en avoir entre eux disputé, le plus âgé d’entre
eux, se dressant sur ses étriers, cria à Vignogoule d’ôter la botte. Ce que le
bourreau fit, au grand rechignement et déplaisir de la foule qui, n’osant huer
les chanoines, le conspua.
    À ce moment, la pluie, qui avait
cessé à l’arrivée des archers, reprit, mais point tant à flots qu’à petites
gouttes serrées et continues, comme un rideau qui fût tombé tout soudain du ciel,
lequel était jusqu’à l’horizon fort noir avec des trouées livides. Les soldats
qui avaient accompagné Cabassus s’étant retirés, le condamné resta seul au pied
du bûcher, vêtu du pourpoint usagé et troué dont on l’avait revêtu quand on
l’avait réduit à l’état laïc. Il ne roulait point les yeux et paraissait fort
calme, et tout aussi résolu que le matin de sa dégradation.
    Un des juges du Présidial,
s’avançant alors à cheval jusqu’à Cabassus, déroula un rouleau qu’il tenait à
la main, et lut sa sentence en latin, en français et en oc. Quoi fait, il
demanda à Cabassus s’il avait quelque chose à ajouter, et Cabassus dit d’une
voix haute et claire :
    — Je meurs pour témoigner de la
vérité.
    — Le temps n’est plus à la
disputation, dit le juge en sourcillant et, se tournant vers Vignogoule, il
s’écria d’une voix forte :
    — Vilain, fais ton office.
    À ce commandement, la foule à tout
rompre battit des mains et trépigna, étant bien aise que le spectacle dont
l’attente l’avait maintenue sous la pluie et dans la froidure commençât enfin.
Sur les faces que j’envisageais aux fenêtres et fenestrous de la place, je ne
voyais que plaisir et soulas, comme s’il se fût agi d’un feu de la Saint-Jean
autour duquel on eût eu appétit à danser et à s’ébaudir. On eût dit que Cabassus,
étant athée, relevait d’une autre espèce que l’espèce humaine, et qu’il
devenait aussi licite et plaisant de le brûler au milieu de tout ce bois, que
les insectes assez mal avisés pour avoir élu gîte dans les fagots.
    Vignogoule, à ouïr le juge,
s’approcha à pas de velours de Cabassus et, lui posant les deux mains sur les
épaules en un geste qui tenait davantage, semblait-il, de l’affection que de la
brutalité, lui parla à l’oreille. Sur quoi, Cabassus, faisant du chef un signe
d’assentiment, s’assit sur un fagot, quitta ses chaussures, puis se relevant,
ôta ses chausses et son pourpoint, lesquels il plia avec le dernier soin et
rangea fort proprement en pile sur le bois comme s’il eût dû les remettre, son
brûlement achevé. Quoi fait, debout, en chemise, les pieds nus sur le

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