En Nos Vertes Années
huis et fenêtres, car bien nous savons que s’il y a
tumulte, d’aucuns de ces marauds courront à la picorée.
Ma fenêtre donnant de bonnes vues
mais étant par là fort visible aussi de la place, je fis comme il avait dit, je
mis un masque et me couvris le chef. Et Samson entrant dans ma chambre comme
Fogacer en sortait, et fort étonné de mon appareil et de l’agitation de la rue,
ouvrit tout grands ses yeux azuréens et demanda qui on allait brûler.
— Un athée, dis-je sans vouloir
entrer plus outre dans le détail de l’affaire, et ayant remis jusqu’à ce jour
de confesser à mon frère le déterrement que j’avais commis.
— Un athée ? dit Samson
sans battre un cil. Ha ! On fait bien !
— Monsieur mon frère, dis-je la
voix tremblante, ce « on fait bien » me fâche fort. Vous qui avez le
cœur si tendre et si piteux, comment pouvez-vous envisager avec tant
d’inhumaine froidure les tourments indicibles que va subir ce malheureux ?
— Mais c’est un athée !
dit Samson. Quand l’illustre Michel Servet nia la Sainte-Trinité, négation qui
était crime, mais crime moins abominable que l’athéisme, notre Calvin le fit à
Genève brûler.
— Aussi bien, dis-je, n’est-ce
pas ce que notre Calvin fit de mieux.
— Quoi ! s’écria Samson, vous
censurez Calvin !
— Calvin n’est ni Dieu ni
prophète. Pourquoi ne le devrais-je pas censurer ?
— Mais nier la Sainte-Trinité
est crime !
— C’est erreur et non point
crime. Samson, comment pouvons-nous exiger pour nous la liberté de conscience
que les papistes nous refusent, si nous la refusons à ceux qui n’opinent point
comme nous ?
— Mais un athée, mon frère, un
athée ! s’écria Samson, comment peut-on souffrir pareille vermine sur la
surface de la terre ?
— Ha Samson ! dis-je
perdant patience, brisons là. Retirez-vous, je vous prie, en votre chambre et
me laissez seul. Je n’ai pas le cœur à disputer plus outre.
Sur quoi, fort navré de ma
rebuffade, la face cramoisie et quelques pleurs se formant aussi au bord des
cils, Samson me quitta, non sans que je conçusse incontinent quelque remords de
ma rudesse.
On toqua à l’huis et Fogacer
réapparut, ayant mis pareillement un masque, pour ce que de sa présence, me
dit-il, s’il était reconnu, on eût pu conclure à la mienne. Dans l’instant où
il m’expliquait ceci, la pluie commença à tomber d’abord à grosses gouttes,
ensuite à flots, avec accompagnement de grêle et d’une bise fort aigre et
sentant davantage son hiver que la fin de l’été.
— Ha ! dit Fogacer, le
bois sera mouillé et brûlera petit. Ce sera long. Cabassus va immensément
pâtir – à moins que Vignogoule, au moment où il boutera le feu, ne
l’étrangle – ce que je crois, ajouta-t-il après un temps.
— Qui vous le fait
croire ?
— Le poteau qui s’élève au
centre du bûcher est percé d’un trou par où passe une corde terminée par un
nœud coulant.
— Et qui décide que le condamné
soit étranglé avant que les flammes l’atteignent ?
— Le Présidial. Mais c’est une
miséricorde secrète. Et Vignogoule l’applique bien ou mal, selon qu’il est payé
ou non par les amis du condamné. Et qui oserait ce jour d’hui être l’ami d’un
athée ?
— Moi ! m’écriai-je. Moi
qui vais porter incontinent cinq écus à Vignogoule pour qu’il étrangle
proprement Cabassus.
Et ce disant, je courus comme fol à
la porte, laquelle s’ouvrit et laissa apparaître Maître Sanche.
— Mon beau neveu, dit-il la
mine sévère, j’ai ouï en entrant ce que vous avez dit. Cela ne se peut. L’huis
est clos, toute fenêtre cadenassée et toute issue barrée. En outre, le
Présidial vient d’arriver, et les chanoines, et Cossolat. Ce serait démence que
de corrompre le bourreau devant eux.
Je courus à la fenêtre. Il disait
vrai : à cheval tous, mais d’aucuns aussi à mulet, les juges du Présidial
et les chanoines qui, avant eux, avaient condamné Cabassus à la dégradation,
entouraient le bûcher, la mine fort grave et compassée, mais cependant jasant
entre eux à voix basse et paraissant fort impatients d’en avoir fini. Derrière
eux et formant comme un rempart pour écarter la foule et des juges et du
bûcher, Cossolat avait disposé en cercle deux rangs d’archers.
Cossolat poussait son cheval à
dextre et à senestre, son œil aigu sous le noir sourcil fouillant sans cesse
tout l’alentour et
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